« La surexposition des enfants aux écrans pourrait être le mal du siècle »

image_pdfimage_print

A l’initiative de Caroline Janvier, députée LRM, un collectif de parlementaires transpartisans et de personnalités, dont Gaspard Koenig, Nicolas Sirkis et Benoît Hamon, appelle à l’élaboration collective d’une proposition de loi visant à la prévention et la sensibilisation des parents.

Cose soutient à 100% cette initiative et vous invite à vous exprimer sur la plateforme participative Purpoz accessible en cliquant sur le lien en bas d’article. (voir sa vidéo youtube en cliquant ici)

Tribune. Sept cent vingt-huit heures. C’est la durée moyenne d’exposition annuelle aux écrans des enfants âgés de 3 à 10 ans. Il en faut soixante-trois pour regarder l’intégralité de la série Game of Thrones – et les amateurs vous diront que ce n’est pas une mince affaire. Sept cent vingt-huit heures, cela revient à regarder 11 fois les huit saisons de Game of Thrones en l’espace d’une année. C’est dire combien les écrans sont présents dans la vie de nos enfants : deux heures par jour, c’est long.

Un tiers des enfants de 0 à 3 ans prend ses repas devant un écran. 0 à 3 ans, c’est une période de la vie où les enfants ont des défis vitaux à relever : apprendre à marcher, parler, nouer des liens et interagir, reconnaître et réguler ses émotions, développer sa faculté de concentration, sa motricité, s’étonner du monde qui nous entoure, commencer à comprendre les lois physiques et biologiques qui le régissent.

Lire aussi: Enfants confinés : les écrans sèment les troubles

Pour cela, l’enfant a besoin d’être stimulé et accompagné par son environnement physique, sensoriel, cognitif et affectif. Les écrans sont alors non seulement des loisirs limitatifs à une période cruciale pour le développement, mais aussi et surtout des entraves à l’acquisition du langage, à la mémorisation des savoirs. Ils ont aussi une influence néfaste sur le sommeil, l’alimentation, ou encore la gestion des émotions.

La question de l’aliénation numérique

Alors qu’il y a encore vingt ans les télévisions restaient fermement accrochées au salon familial, les téléphones et tablettes suivent aujourd’hui nos enfants partout. Tous les parents contemporains ont un jour ou l’autre connu la tentation de placer un écran entre les mains de leur progéniture pour faire cesser des pleurs dans le train, pour détourner leur attention d’une égratignure douloureuse ou pour les occuper trois minutes le temps de mettre un plat au four.« REGARDER UN ÉCRAN LE MATIN AVANT L’ÉCOLE EST ASSOCIÉ À TROIS FOIS PLUS DE RISQUES DE PRÉSENTER UN TROUBLE PRIMAIRE DU LANGAGE »

Beaucoup cèdent à la tentation, y compris parmi nous. Le problème réside en la systématisation de cette exposition précoce aux outils numériques avec des conséquences souvent méconnues. L’enjeu est donc avant tout de les prendre en compte. Il ne s’agit pas, bien entendu, de condamner l’usage des écrans, car ils peuvent être d’excellents outils pour éveiller la curiosité et développer les connaissances.

Lire aussi: « La surexposition des jeunes enfants aux écrans est un enjeu majeur de santé publique »

La question est celle de l’aliénation numérique, notamment sur les plates-formes interactives. Regarder un écran le matin avant l’école est associé à trois fois plus de risques de présenter un trouble primaire du langage. Le faire sans discuter des contenus visionnés avec son entourage, à six fois plus de risques. Quand on sait combien la maîtrise du langage est un élément central dans le développement cognitif et socio-émotionnel, très logiquement, sa dégradation peut être une entrave à la réussite des enfants et à leur adaptation scolaire et sociale.

Les conséquences sur la santé physique

Un usage excessif a aussi des conséquences sur leur santé physique : des repas bio pour nos enfants c’est bien, mais si c’est devant Sam le pompier, hypertension artérielle et obésité s’inviteront peut-être aussi à leur table, la pratique du visionnage de films pendant les repas étant notamment associé à la consommation de junk food. Nos enfants sont aussi devenus une cible marketing des publicités agroalimentaires, intercalées entre deux dessins animés parfois conçus pour susciter d’impulsives envies de sucreries. Envies qu’ils pourraient d’autant plus avoir de difficulté à maîtriser s’ils sont en manque de sommeil. Car oui, les écrans affectent à la fois la qualité et la quantité de sommeil. Et qui dit altération du sommeil dit aussi moins bonne gestion des émotions, souffrance psychique et affectation du fonctionnement de la mémoire.

Lire aussi: La moitié des pubs alimentaires vues par les enfants sont pour des produits mauvais pour la santé

Au retour d’une journée de travail et d’embouteillages, il est évidemment tentant de s’aider de la télévision pour endormir nos enfants, mais cette énergie économisée sera de courte durée car les réveils nocturnes et l’irritabilité au réveil en seront le retour de bâton. Développement cognitif et socio-émotionnel, sédentarisation du temps libre, cycles de sommeil perturbés, l’enjeu est donc systémique.

Des différences selon le niveau d’études des parents

L’irruption du numérique dans nos vies a d’ores et déjà provoqué un bouleversement sociologique majeur dont nous commençons à mesurer les effets sur nos comportements. Certains d’entre nous en tirent des conséquences sur leur utilisation des réseaux sociaux, leur rapport à l’information ou encore leurs interactions sociales avec d’autres adultes ou en présence d’enfants. C’est à nous qu’il revient de prendre les bonnes décisions pour protéger le développement des générations qui viennent au monde ou sont éduquées avec cette omniprésence de la télévision, de l’ordinateur ou du téléphone. Sans prise de conscience collective de l’importance de protéger les jeunes enfants de cette surexposition, ce sont les adultes de demain que nous privons de leurs pleines capacités.

Lire aussi: L’inquiétude monte face à l’impact des écrans sur les plus jeunes

Les inégalités socio-économiques n’épargnent pas non plus nos enfants sur le sujet : l’usage important des écrans varie notamment selon le niveau d’études des parents, la situation socio-économique et l’âge de la mère. Faire connaître la question de la surexposition de nos jeunes relève ainsi aussi du principe d’égalité des chances.

Construire une vraie politique de prévention

Cette surexposition pourrait être considérée comme le mal du siècle, car la portée des enjeux et leur caractère inédit dans l’histoire humaine s’imposent à nous.

C’est une réflexion autour de cette question fondamentale que nous proposons de porter à l’agenda public.

C’est pour cette raison qu’est lancée la co-construction en ligne d’une proposition de loi sur le sujet, ouverte à toutes et tous.

Une proposition de loi pour construire une vraie politique de prévention, sensibiliser les parents, former les professionnels, réguler l’utilisation des écrans dans les lieux d’accueil des enfants. Car c’est aujourd’hui que se joue le développement des générations qui feront la société de demain.

Les premiers signataires de la tribune : Caroline Janvier, autrice de la tribune, députée du Loiret ; Ilana Cicurel, députée européenne (Renew), présidente du collectif citoyen « Je m’engage pour l’école » ; Marie Danet, maîtresse de conférences à l’université de Lille ; Benoît Hamon,ancien ministre ; Gaspard Koenig,président de Génération libre et de Simple ; Nathalie Loiseau, députée européenne (Renew), ancienne ministre ; Arnaud Robinet, maire de Reims ; Laurianne Rossi, députée des Hauts-de-Seine (LRM), questeure de l’Assemblée nationale ; Nicola Sirkis,musicien ; Bruno Studer, député du Bas-Rhin (LRM), président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.