Aborder quel que soit l’âge de l’enfant la place des écrans : une démarche préventive et diagnostique indispensable

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Le numérique est omniprésent depuis plus de 10 ans dans tous les foyers. La 4 G, le Wifi et les écrans nomades permettent de télécharger tout, partout et à tout moment. Une double éducation des parents à leurs enfants est à présent nécessaire : celle dans le monde réel et celle dédiée au numérique. L’impact dans les familles est majeur et sabine Duflo, psychologue au CMP de Noisy le grand, sensibilise depuis longtemps le public et les professionnels de santé sur les effets des écrans sur le développement de l’enfant (voir les deux articles de Médecine et enfance en septembre 2016 et octobre 2019)[1,2]. Elle est loin d’être la seule du monde médical à s’intéresser à ce sujet : si on utilise les mots « screen » et « children » dans le moteur de recherche médical « Pub Med » on trouve plus de 2500 études publiées sur 10 ans. Les recommandations de l’académie américaine de pédiatrie s’accompagnent année après année d’une bibliographie toujours plus conséquente [3].

Mais comment adapter ces recherches à notre pratique quotidienne ? Sensibilisée il y a maintenant plusieurs années par Sabine Duflo, j’ai modifié ma façon de travailler : j’aborde systématiquement ce sujet lors de mes consultations pour conseiller les familles quel que soit l’âge de l’enfant.  J’évoque aussi plus souvent la responsabilité éventuelle de l’écran devant différents symptômes. A côté de cette activité clinique quotidienne, j’ai poursuivi mon travail de prévention en explorant d’autres univers : celui de l’action « militante » en m’appuyant sur un collectif créé avec d’autres professionnels de santé (CoSE : collectif surexposition écrans) et en écrivant un livre : « les écrans : mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille », édité chez Hatier.  Je souhaite partager avec vous l’expérience que j’ai acquise sur le sujet et la façon dont je conduis maintenant ma consultation.

  1. Evoquer la question des écrans au cours de la consultation de l’enfant qui va bien

Le tout petit :

Dès la première visite, j’aborde la place des écrans auprès des parents d’un petit de quelques semaines. Quand je dis aux parents qu’il est nécessaire de ne pas utiliser son smartphone quand on nourrit ou on s’occupe de son bébé, les parents sont attentifs et pas du tout gênés que l’on parle de ce sujet. Les premiers temps, j’ai eu quelques réticences à évoquer les écrans au milieu de cette consultation où il y a tant à dire (sommeil, alimentation, vaccins …). De mois en mois, je me suis aperçue que les parents étaient intéressés, se questionnaient sur le sujet et essayaient d’appliquer les conseils.

C’est aussi l’occasion de rappeler que bébé a besoin d’une attention pleine et entière, d’une disponibilité totale de ses parents quand il est éveillé et que c’est ainsi que l’accordage se met en place dans de bonnes conditions. J’explique également que bébé est attiré par ce qui mobilise son parent et que si le parent est accaparé par son portable ou sa tablette, les interactions seront de moins bonnes qualités et bébé risque de s’intéresser trop tôt à l’écran. J’évoque aussi la mise en place du langage dont les premières bases se fondent sur le regard, les échanges de mimiques, la parole accompagnée du geste et combien l’écran fait évidemment interférence à ces échanges. Si le français n’est pas maitrisé, la langue maternelle doit être utilisée car c’est elle qui fait sens et elle ne doit pas être remplacée par des dessins animés en français qui n’apprennent rien à bébé, contrairement à ce que les parents croient souvent. « Apprenez-lui le Bambara, car c’est votre langue et c’est de lier un mot à un objet qui est le plus difficile ; il apprendra ensuite le français tout seul à l’école sans problème si le lien entre objet et mot est déjà fait ».

Le petit enfant apprend en 3 dimensions, avec ses cinq sens, ce que ne permet pas l’écran. Rachel Barr, chercheuse américaine a démontré, en 2005, en laboratoire, l’existence d’un déficit de transfert ou « déficit vidéo » chez le plus petit : l’enfant de moins de 2 ans apprend moins bien, mémorise moins bien des tâches devant un écran que dans la vie réelle [4]. Dans une expérience, elle cache un jouet derrière un canapé et l’enfant la voit faire sur un écran de télévision placé à l’extérieur. Quand on fait ensuite entrer l’enfant dans la pièce il ne sait pas où est le jouet : ce qui s’est passé sur l’écran n’avait en fait aucun sens. Ces constats sont à la base des recommandations de l’académie américaine de pédiatrie qui déconseille tout écran avant deux ans [3]. Pour informer toute la famille et insister sur l’importance de l’effet des écrans, j’ai pris l’habitude de noter sur la première ordonnance ces recommandations (voir tableau 1).

Tableau 1 : ordonnance : recommandations pour les tout petits :

Eteignez la télévision quand votre enfant est dans la pièce

Evitez d’utiliser votre tablette ou votre téléphone quand vous vous occupez de votre bébé

Sortez chaque jour ; parlez à votre bébé dans votre langue maternelle en le regardant

 Le petit enfant :

Quand l’enfant grandit, je poursuis mes conseils en m’adaptant aux problématiques de chaque famille. L’écran ne posera pas de problème à l’enfant s’il est utilisé avec un adulte qui commente et fait des liens avec la réalité (ce qui permet de diminuer le déficit vidéo), si le contenu est choisi et adapté (dessin animé lent, comptine, photos familiales) et tout cela pendant un temps choisi donc raisonnable. De nombreuses familles sensibilisées dès la première visite n’ont pas besoin le plus souvent d’être de nouveau informées. Je reste vigilante néanmoins si le portable est sorti trop facilement par les parents notamment pour calmer l’enfant ou si des troubles que je détaillerais plus tard apparaissent. Certaines familles ou certains « profils » d’enfant (tableau 2) nécessitent de répéter les recommandations que je notifie sur l’ordonnance (tableau 3).

L’utilisation de l’ordonnance montre aux membres de la famille absents lors de la consultation l’importance du conseil en le mettant au même niveau que les autres prescriptions. Cette habitude de prescription est bien reçue par les familles et même parfois réclamée par le parent qui souhaite convaincre l’autre parent absent …

Pour les enfants de 18 mois à 3 ans gardés au domicile par la famille, je suis aussi vigilante sur la gestion des écrans. Cette période d’opposition, difficile à gérer notamment lors d’un premier né, peut favoriser l’utilisation de l’écran qui « calme » l’enfant, le « canalise » et permet au parent de changer sa couche ou de le faire manger (« mais docteur sinon il ne mange rien « ) Cela semble au début relever de la magie car les enfants sont tellement fascinés par l’écran qu’ils se laissent effectivement faire. Mais cela crée une telle dépendance qu’il devient impossible de le retirer sans pleurs. Ces colères amènent les parents à laisser l’écran de plus en plus longtemps. Notre rôle d’information est alors essentiel pour éviter que YouTube-kid ou Gulli soit la principale activité de ces tout-petits.

Tableau 2 : situations plus à risque ; prévoir une répétition de l’information sur les écrans lors des consultations

Enfant de moins de 3 ans gardé au domicile

Famille d’origine étrangère maitrisant mal le français*

Famille monoparentale, isolée*

Famille de bas niveau socio-économique et/ou vivant en studio*

Famille peu diplômée*

Famille avec faible revenu*

Dépression maternelle*

Gémellité

Pathologie du bébé* : bébé qui pleure beaucoup (l’écran calme bébé), bébé fragile, ancien prématuré, hospitalisation précoce …

Enfant difficile*

Enfant avec trouble de l’attention avec ou sans  hyperactivité (cause et conséquence)*

Adulte hyperconnecté *

Adulte ayant besoin de temps ou Mère fatiguée lors d’une grossesse rapprochée (l’écran occupe l’enfant)

* : notion retrouvée dans la littérature

Tableau 3 : ordonnance : recommandations pour le petit enfant :

Ne pas laisser la télévision allumée quand votre enfant est dans la pièce même si il ne la regarde pas

Evitez de regarder votre tablette ou votre téléphone en présence de votre enfant

N’utilisez pas d’écran pour le calmer

Ne mettez pas votre enfant de moins de 2 ans devant un écran (en dehors des photos/vidéos familiales ou de Skype), cela peut nuire à sa santé.

Sortez chaque jour, fréquentez la maison des parents, les garderies …

L’enfant scolarisé :

Pour l’enfant plus grand la problématique des écrans est moins prégnante à prime abord car les journées sont structurées par les rythmes de l’école, les réveils du matin sont nécessairement à des horaires plus réguliers et les couchers le plus souvent plus faciles (aidés par la fatigue de la journée). Je l’aborde cependant pendant les consultations annuelles systématiques dès l’âge de 3 ans, en utilisant les notions de « 4 Pas » de Sabine Duflo. Contrairement au « 3-6-9-12 » que je n’ai jamais réussi à m’approprier de façon satisfaisante, ces notions sont faciles à expliquer et à illustrer en privilégiant 3 temps et un lieu. Le message est très simple et très vite compris.

Pas le matin avant l’école : j’explique aux parents combien ce temps est riche pour les apprentissages : l’enfant exerce sa motricité fine lors du repas (boire à la tasse, tartiner, couper…) et lors de l’habillage (enfiler, mettre à l’endroit, boutonner …). Les échanges sont plus riches. La concentration en arrivant à l’école est bien meilleure. De plus, les parents racontent souvent des levers précoces les jours de vacances ou de week-end, je leur conseille de donner une heure minimum à partir de laquelle la télévision peut être allumée et cela suffit souvent à retarder le lever.

Pas lors des repas :  C’est encore une habitude fréquente quel que soit l’origine des parents et même l’âge des parents : La télévision reste allumée pour les informations pendant les repas. C’est l’occasion de souligner l’importance des interactions pour le langage et combien les écrans sont à risque « de faire écran ». Je cite souvent l’étude de Christakis qui montre que lorsque la télévision est allumée le niveau du vocabulaire est amputé de près de 25% [5]

Pas le soir au moins une heure avant le coucher : les questions de sommeil sont souvent moins fréquentes à cet âge car dans la grande majorité des cas « il fait enfin ses nuits » mais c’est l’occasion de ré-expliquer l’importance du sommeil dans les apprentissages, dans les processus de mémorisation…Beaucoup de parents ont entendu parler des effets de la lumière bleue et je leur explique l’importance de la sécrétion de la mélatonine pour une bonne entrée en sommeil

Un lieu : préserver la chambre le plus longtemps possible de tout écran. J’explique aux parents que laisser son enfant avec un écran dans sa chambre sans adulte présent, c’est le laisser sans protection dans le monde numérique car la grande majorité des écrans aujourd’hui sont connectés au Web par l’intermédiaire du Wifi familial. C’est très souvent une problématique à laquelle n’ont jamais pensé les parents : avoir aujourd’hui un téléphone c’est en fait être sur internet librement dès le retour à la maison ! C’est le laisser accéder à des contenus inadaptés (violents ou pornographiques) ce qu’ils ne feraient jamais dans le monde réel ! Quand un enfant regarde un écran dans la pièce dans laquelle un adulte responsable se trouve, il peut alors observer ses émotions, répondre à ses questions, mieux estimer le temps passé et plus facilement proposer une autre activité.

De nombreux parents me demandent s’il existe un temps maximum selon l’âge. Même si aujourd’hui beaucoup de personnes s’élèvent contre la limitation du temps d’écran qu’ils jugent non productives je reste attachée à des notions simples de « temps moyen » qui indique malgré tout un ordre d’idée aux parents qui sont complètement perdus : on peut proposer une heure par tranche d’âge par semaine, exemple : 8 heures par semaine pour un enfant de 8 ans. Pour certaines familles, ce principe est utile. Je préfère de plus en plus notamment pour des familles nombreuses proposer la règle suivante : pas d’écran les jours d’école et modérément les week-ends. L’absence d’écran la semaine est beaucoup plus facile à mettre en place car la règle est claire (mieux compris par les enfants, plus facilement applicable quand le parent est seul) et évite de batailler sur le temps d’écran (toujours difficile à arrêter).

Dans le tableau 4, vous trouverez un exemple d’ordonnance pour les enfants scolarisés. On rappelle que le temps d’activité numérique n’est pas obligatoire, que si ce temps d’écran est proposé, il ne doit pas l’être aux dépens d’autres activités importantes (activité physique, sommeil, temps de jeu réel …) et que le contenu doit toujours être connu. L’idéal est de partager ce moment d’écran : jouer ensemble à un jeu vidéo, regarder un film, échanger sur des contenus de YouTube …

Tableau 4 : ordonnance : recommandations pour les enfants scolarisés

Pas d’écran le matin avant l’école et pas avant une certaine heure définie

à l’avance le week-end et les jours de vacances

Pas d’écran au moins une heure avant le coucher

Pas d’écran en mangeant dont la télévision

Pas d’écran dans la chambre

Pour simplifier (plusieurs enfants d’âge différent notamment) : Pas d’écran les jours d’école

Les grands enfants (collégiens) :

L’entrée au collège est souvent synonyme d’acquisition d’un smartphone. Il est nécessaire que les parents prennent le temps de s’informer et d’informer leurs enfants sur les mécanismes mis en place par les réseaux sociaux, par YouTube ou par les jeux vidéos pour capter l’attention et d’augmenter la dépendance. Ce sont des notions récentes qui sont peu connues des professionnels de santé et encore moins des parents.  En effet, la captologie, crée par  B J Fogg en 2007 à Stanford, est une nouvelle science qui s’exerce sur toutes les plateformes [6]. De nombreux systèmes sont utilisés pour nous rendre « accros » et bien sûr les enfants ne sont pas épargnés (voir tableau 5). Cette captation allonge notre temps d’exposition et de recherche sur internet ce qui permet d’enregistrer nos données personnelles en grand nombre et cibler la publicité. Encore une fois, les enfants subissent également ce système parfois de façon détournée en regardant des influenceurs (sur YouTube notamment : marque de jouets, de vêtements …)

Tableau 5 : quelques recettes de la psychologie cognitive pour nous rendre dépendant :

design de l’interface (attirance par les couleurs, les formes …)

notifications multiples

stimulation du circuit de récompense (like, streak …) pour favoriser l’engagement (plus on diffuse de contenu, plus on est reconnu)

ciblage comportemental qui ajuste en permanence le fil d’actualité

utilisation du système de la récompense aléatoire (à la base des jeux d’argent)

adaptation du système au niveau du jeu du joueur (ni trop difficile ni trop facile)

incitation à ne pas quitter le jeu ou le réseau social (scroll)

incitation à continuer à visionner par exploitation de l’inertie (séries qui s’enchainent …)

 des dizaines d’autres moyens existent proposés par des professionnels experts de la psychologie cognitive

L’accès à internet doit donc être contrôlé car en quelques clics, les enfants sont exposés à des images violentes ou pornographiques très facilement. Donner un portable à son enfant muni de la 4G et/ou d’un accès Wifi sans contrôle, c’est prendre le risque « de l’autoriser » à regarder un film non adapté pour son âge, à rentrer dans un sex-shop, à jouer à des jeux déconseillés, à veiller tard le soir, à faire des rencontres inadaptées sur les réseaux sociaux ou à abandonner progressivement les activités extrascolaires … Ce que les parents ne feraient pas dans la vraie vie

 Je répète aux parents devant leur adolescent que le portable n’est pas un droit mais un privilège, que le portable appartient aux parents (même si c’est un cadeau c’est bien eux qui paient l’abonnement) et que leur rôle de parent est de protéger leur enfant dans le monde numérique comme dans le monde réel. J’essaie de faire réfléchir les parents à ce constat : ce n’est pas parce que votre enfant est dans sa chambre, physiquement présent qu’il est protégé et en sécurité … Comme dans la vraie vie, l’adolescent a besoin de limite dans le monde numérique ; par nature, il essaiera de transgresser les règles, de pousser les limites mais il se sentira dans un cadre bienveillant et structurant dont il a besoin. Les parents sont très demandeurs de conseils voire d’arbitrage à cet âge. Si un des parents est absent ou s’il y a nécessité « d’officialiser » les nouvelles décisions prises, j’écris une ordonnance dans ce sens (tableau 6). J’ai affiché dans ma salle d’attente un score d’utilisation problématique des écrans que les parents font avec leurs enfants qui permet de lancer la discussion sur le sujet et pointe l’éventuelle dépendance de l’adolescent face au net (tableau 7) [7]. Le monde numérique prend une place tellement importante dans la vie des adolescents, que nous devons, nous, soignant lors des consultations quel que soit la raison de leur venue, évoquer la place des écrans dans leur quotidien.

Tableau 6 : ordonnance : recommandations pour les écrans pour les collégiens :

Respectez les âges conseillés pour les jeux via la recommandation PEGI (7) (par exemple Fortnite après 12 ans ) et pour les réseaux sociaux (13 ans)

Respectez un temps d’écran par jour à décider ensemble la semaine et les week-ends

Pas d’écran à table pour toute la famille

Aucun écran dans la chambre (dont le téléphone) à partir d’une certaine heure définie le soir (prévoir un réveil classique…)

Mettre le téléphone en mode silencieux et retourné lors des devoirs

Ne pas s’endormir avec un écran

Envisagez un contrôle parental pour limiter le temps et l’accès à internet (screen time, family link, Qustodio  par exemple)

Prévoir des périodes de déconnexion de la wifi à la maison

Tableau 7 : score d’utilisation problématique des écrans – 9 critères :

  • C’est difficile pour mon enfant d’arrêter d’utiliser les écrans
  • Les écrans sont les seules choses qui semblent motiver mon enfant
  • Les écrans occupent la plupart des pensées de mon enfant
  • L’utilisation des écrans de mon enfant a des répercussions sur les activités familiales.
  • L’utilisation des écrans de mon enfant est cause de conflits dans la famille
  • Mon enfant se sent frustré quand il ne peut pas utiliser un écran
  • Le temps que mon enfant veut passer devant un écran continue d’augmenter
  • Mon enfant se cache pour utiliser un écran
  • Quand mon enfant a passé une mauvaise journée, l’écran est la seule chose qui l’aide à se sentir mieux

Donner un point à chaque item : Plus de 2, refaites le test dans 6 mois

Plus de 4, attention, prenez avis et interrogez vous sur la gestion des écrans

  1. Evoquer la question des écrans au cours de la consultation de l’enfant qui ne va pas bien

Des symptômes très variés et diversement imbriqués peuvent être liés en partie ou en totalité à une exposition inadaptée aux écrans (liée à l’âge et/ou au temps passé et/ou au contenu). Dans de nombreuses situations, on peut améliorer voire faire disparaître ces symptômes en arrêtant les écrans ou en les gérant correctement.

Il est donc indispensable d’évoquer la responsabilité éventuelle des écrans dans la genèse de certains symptômes : cela n’entraine aucun préjudice à la famille, n’a aucun coût, est sans risque et ne retarde en rien une autre prise en charge médicale ou paramédicale. A présent, de mon point de vu, ne pas l’évoquer est source de préjudice à l’enfant.

  • Une perturbation du sommeil :

Le sommeil est très souvent touché en qualité et/ou en quantité et ce quel que soit l’âge. La fatigue est un motif fréquent de consultation et aujourd’hui la première cause à évoquer (examen clinique normal à l’appui) est le manque de sommeil, liée à une utilisation nocturne des écrans, notamment chez l’adolescent. De nombreuses études ont montré une corrélation entre l’utilisation des écrans et un mauvais sommeil : Carter , en 2016, dans une métanalyse sur 125198 enfants âgés de 6 à 19 ans montre une quantité de sommeil insuffisante, une mauvaise qualité de sommeil et un endormissement exagéré en journée si l’écran est trop utilisé [8], Beyens , en 2018, décrit le sommeil de 402 enfants âgés de 3 à 5 ans [9] ; plus les enfants sont exposés aux écrans plus le coucher est tardif et plus le temps de sommeil continu est moindre (sommeil mature essentiel aux fonctions cognitives). Cheung , en 2017, montre chez 715 petits enfants (6-36 mois) que chaque heure d’écran diminue de 15 minutes la durée de sommeil par 24 heures [10]. On sait depuis longtemps que l’enfant en manque de sommeil peut présenter une fatigue excessive, des troubles de l’humeur, des difficultés d’attention et de concentration, préjudiciables à ses apprentissages et son bien-être. Quel que soit l’âge, les problématiques de sommeil sont au cœur de notre pratique. Penser à évoquer la place des écrans devant des troubles du sommeil, même chez un tout petit, doit faire partie de notre démarche diagnostique. Dès18 mois, certains enfants regardent des heures des dessins animés sur YouTube ou sur une autre plateforme …

  • Un bien-être altéré et des troubles de la régulation de l’humeur :

Twenge en 2018 a évalué le bien-être chez 40337 américains âgés de 2 à 17 ans et a montré qu’au-dessus d’une heure d’utilisation par jour on trouve une corrélation entre nombre d’heures d’écran ET moins de curiosité et de self contrôle, plus de difficulté à se faire des amis, moins de stabilité émotionnelle, plus de difficulté à l’empathie et plus de difficulté à finir une tâche. Pour les adolescents, il décrit une augmentation de l’anxiété et de la dépression en fonction du temps d’écran (au-delà de 4 h par jour) [11]. Cliff , en 2018, décrit des troubles de la self-régulation à 4 ans quand le temps d’écran est élevé à 2 ans chez 2786 petits australiens [12]. Evoquer la place des écrans dans le quotidien d’un enfant coléreux, au caractère difficile, intolérant à la frustration peut permettre de trouver des solutions pour améliorer le comportement de cet enfant.

  • Des troubles de la motricité fine :

On voit certains enfants incapables d’avoir une bonne tenue du crayon ou de manipuler correctement par faute « d’entrainement ». Dans une étude déjà ancienne (2006) un pédiatre allemand compare la richesse des dessins du bonhomme de 1161 enfants âgés de 5 à 6 ans selon le temps d’exposition à la télévision. Il score tout simplement chaque dessin en donnant un point pour chaque élément du bonhomme (bras, oreille ou bouche…) [13] .  Le résultat est sans appel : les enfants peu exposés obtiennent un score de plus de 10 points alors que le dessin des enfants exposés obtient en moyenne un score de 6 points. L’illustration de l’article est très frappante et je la laisse volontiers sur mon bureau (voir ci-dessous) car celle-ci interpelle les parents et même certains enfants. Les professeurs des écoles constatent maladresse et désintérêt des enfants surexposés aux activités manuelles proposées, pourtant essentielle à la mise en place de l’écriture.

Dessins issus de l’étude de Winterstein  – 2006

  • Des troubles de l’attention :

Les troubles de l’attention ont certes toujours existé mais leur fréquence ne cesse d’augmenter. Beaucoup d’études mettent en évidence une corrélation entre temps d’écran et troubles de l’attention mais on se pose la question de savoir si ces enfants ont des troubles de l’attention à cause des écrans ou si les enfants souffrant de troubles de l’attention ne seraient pas mis plus souvent devant les écrans. Une étude chez 2587 adolescents américains sans troubles de l’attention répondait en partie à cette question : Elle montrait, chez les adolescents ayant une fréquence élevée d’utilisation des objets numériques, une augmentation de l’apparition de troubles de l’attention durant l’année de suivi de l’étude [14]. Des études équivalentes ont été publiées chez les plus jeunes d’autant plus que le contenu est inadapté (violent ou destiné à un public adulte) Zimmerman [15].

  • Des troubles du langage :

Dans ma pratique, je constate un tableau clinique nouveau : des enfants de 2-3 ans qui ne sont pas entrés dans la communication langagière, qui ne disent que quelques mots (maman, papa, donne …) mais qui répètent en boucle « Disney, Mickey ou Sam pompier ». D’autres peuvent aussi énoncer des couleurs ou des nombres en anglais (à la fierté de leur parents) alors même qu’ils ne parlent pas correctement dans leur langue maternelle. Il suffit de passer quelques minutes devant les contenus diffusés par Gulli ou sur YouTube kid pour comprendre : ces programmes sont truffés de petites vidéo où sont répétés en boucle « blue, yellow ou three, four « Ce langage plaqué a même reçu une appellation : le YouTublish !  Quand vous êtes face à un enfant sans langage et ânonnant des mots plus ou moins en lien avec un support visuel (dessins animés, vidéos de YouTube) vous aurez fait un diagnostic de surexposition aux écrans ; le traitement est alors simple (arrêt des écrans) ce qui n’empêche pas de faire un audiogramme et de demander une prise en charge orthophonique (délai d’attente de plus de 6 mois dans mon secteur). Si le diagnostic est précoce et le sevrage total, les enfants progressent très vite, en quelques semaines. De nombreuses études (Tomopoulos 2010 , Duch 2013, Birken 2017, Turk  2018 ont mis en évidence un lien entre des retards de langage et le temps d’écran [16–19]  .

  • Des troubles cognitifs :

Une étude récente canadienne de Madigan  sur 2441 enfants de 24 à 36 mois en 2019 montre une corrélation entre temps d’écran mobile et anomalie du test ASQ (un test cognitif de 5 items évaluant sur l’interrogatoire des parents la communication, la motricité fine et globale, la résolution de problème et le langage) [20]. Un temps d’écran élevé à 2 ans donne des tests à 3 ans moins bons et de même un temps d’écran élevé à 3 ans donnent de mauvais résultats à 5 ans. Dans cette étude la corrélation est en faveur d’une causalité car c’est une corrélation temporelle d’abord le temps d’écran élevé puis le test cognitif anormal et la réciproque n’est pas retrouvée le test cognitif anormal n’est pas corrélé quelque mois plus tard à une augmentation du temps d’écran. Walsh chez 4524 américains plus âgés (entre 8 et 11 ans) observe des scores cognitifs élevés si les écrans sont modérément utilisés (moins de 2 heures par jour) [21].

  • Des troubles des interactions précoces et graves :

Lorsque les parents ne croisent pas assez le regard de leur petit enfant ou quand ils ne répondent pas de façon adaptée aux sollicitations de l’enfant un peu plus grand parce qu’ils sont eux-mêmes trop occuper par leur écran, des troubles graves des interactions peuvent se mettre en place : des troubles du langage bien sûr, mais aussi du pointage, du faire-semblant et plus largement des interactions sociales essentielles au bien-être de l’enfant. Dans les cas les plus graves on observe des enfants sans langage, isolés, sans recherche de contact avec les autres, aux intérêts restreints aux écrans, voire avec des gestes stéréotypés. Bruno Harlé qui a publié dans les archives de pédiatre en 2012 le premier travail sur les écrans [22,23] a fait le point récemment sur ces symptômes sévères dont nous avons-nous même publié un cas clinique [24]. Ces enfants s’améliorent très vite à l’arrêt de la surexposition aux écrans si le diagnostic est précoce au mieux avant 18 mois, à la condition que parents et enfants soient sevrés : Ils regardent de nouveau le monde qui les entoure, explore, cherchent la communication et retrouvent une attention conjointe. Il faut soutenir les parents dans cette démarche nouvelle et difficile pour eux, leur réapprendre à jouer avec leur enfant et proposer des solutions pour accompagner par une socialisation extérieure bienveillante (crêche, garderie) ce sevrage des écrans.

  • Une diminution des activités extrascolaires notamment sportives :

En France, seulement 28 % des garçons et 18 % des filles âgés de 6 à 17 ans respectent les recommandations d’activités physiques de l’OMS. L’activité physique diminue fortement à 11 ans selon l’étude ESTEBAN de santé publique France de 2015 [25] . Cet âge correspond aussi à l’âge habituel de l’obtention du premier portable  … Je vois souvent de jeunes adolescents arrêter plus ou moins brutalement leurs activités extrascolaires sans motif évident (notamment pour les parents) En creusant, on s’aperçoit que le temps d’écran devient prioritaire aux activités physiques. La semaine dernière , les parents d’Alexandre consultent car il est maintenant trop fatigué pour aller au judo le mercredi après midi et préfère faire la sieste chez mamie…Evidemment  mamie ne se doute pas qu’il garde son portable, connecté au wifi de la maison, pour jouer tranquillement dans son lit…Comme pour le petit enfant qui regarde de nouveau autour de lui quand on diminue le temps d’écran, le sevrage de l’adolescent est assez stéréotypé : après une phase de colère, de déni, d’ennui insupportable, il reprend progressivement son sport, son instrument de musique ou ses livres préférés, qui sait !

  • Des difficultés scolaires :

L’infléchissement scolaire est aussi un motif de consultation qui doit alerter. La journée n’étant toujours composée que de 24 heures (!), certains adolescents envahis par leur écran ne trouvent plus assez de temps pour les activités essentielles de bien-être : sommeil, activités extrascolaires, temps de travail à la maison. La concentration à l’école est perturbée et la somnolence parfois apparait en fin de matinée, les résultats scolaires s’infléchissent progressivement. Des difficultés scolaires importantes avec mauvaise appréciation cause de mauvaise estime de soi peuvent être à l’origine d’une déscolarisation.  Le cyberharcèlement peut être cause de phobie scolaire. Quand les parents nous interpellent sur des difficultés scolaires chez un enfant au parcours antérieur correct, il faut aborder la place des écrans d’autant qu’il a un smartphone. Ainsi on peut reprendre l’étude de Walsh [21] qui conclue que les journées des enfants de 8-11 ans avec les meilleurs résultats aux tests académiques se composent ainsi : moins de 2 heures d’écran par jour, au moins une heure d’activité physique par jour et 9 à 11 heures de sommeil. En reprenant ces 3 points (temps d’écran, activité physique, sommeil) on peut essayer de réamorcer un cercle vertueux avec l’enfant et sa famille.

En Conclusion

Pendant cette dernière décennie, nos rapports à l’information, nos échanges personnels et professionnels, nos accès à la musique, à la vidéos … ont été bouleversés. Bien maitrisé, l’accès au monde numérique est une formidable chance pour nos enfants. Néanmoins, ce nouveau monde nécessite des règles pour tous et notamment des mesures pour protéger les plus vulnérables que sont les enfants. Comme pour le sommeil ou l’alimentation, une information précoce sur le numérique est nécessaire et doit faire partie de nos habitudes en consultation quel que soit l’âge de l’enfant. Des symptômes très variés plus ou moins intriqués et plus ou moins sévères peuvent être liés à une exposition inadaptée aux écrans ; il est nécessaire de penser systématiquement à la place de ce nouvel élément environnemental. En effet, il existe un traitement efficace ! Une simple modification d’utilisation ou un sevrage complet si nécessaire des écrans permet d’améliorer voire de faire disparaitre les anomalies cliniques constatées en quelques jours. Un soutien à la parentalité et une aide à la socialisation (crèche, garderie) peuvent être nécessaires pour une réussite pérenne. A l’heure où les Centres Médico-Psychologique sont débordés, les orthophonistes surchargés, les bilans spécialisés difficiles à obtenir, une tentative d’arrêt ou une diminution de l’exposition aux écrans ne coute rien, est rapide à mettre en place, n’entraine aucun risque et peut permettre de gagner un temps précieux à l’échelle du développement du jeune enfant !

Alors posez la question des écrans, vous serez surpris des réponses ! tous les écrans : La télévision bien sûr, mais aussi le smartphone, la tablette dès le plus jeune âge, la console de jeu (saviez-vous qu’une Wii se connecte au wifi et peut donc très bien servir à surfer sur le net ?). Posez la question de la connexion à la maison : les mamans ne savent pas que les téléphones portables de leur plus jeune se connectent facilement au wifi familial et qu’il est ainsi sur le web quand il veut ou il veut (si si ! dans les toilettes aussi).

Quand des symptômes sont évocateurs, faites raconter une journée type en analysant le temps moyen d’exposition : vous serez sûrement surpris (comme le sont souvent les parents qui ne se rendent pas toujours compte) comme je l’ai été en 2017 et comme encore je le suis très souvent aujourd’hui !

Bibliographie

[1]       Duflo S. L’enfant et les écrans : entre addiction et temps volé. Médecine et Enfance 2016:194–8.

[2]       Duflo S. Addiction aux écrans: familles en souffrance, pouvoirs publics en veille. Medecine et enfance 2019:192–5.

[3]       AAP Council On Communications and Media. Media and Young Minds. Pediatrics 2016;138:e20162591. https://doi.org/10.1542/peds.2016-2591.

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Livres conseillés :

            Les écrans : mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille, Hatier ; 2018 ; sylvie Dieu Osika

Quand les écrans deviennent neurotoxiques, Marabout ; 2018 ; sabine Duflo

            Ma pause sans écran, Mango ; 2018 ; Vanhoutte carole, Lerouge florence, Job-Pigeard Elsa.

            Les ravages des écrans, L’échappée ; 2019 ; Spitzer Manfred

            La fabrique du crétin digital, Seuil ; 2019 ; Desmurget Michel

Sites conseillés :

Le site de l’AFPA : association française de pédiatrie ambulatoire. 

Le site CoSE : à consulter sans modération, informations, témoignages, bibliographie … en signant la charte vous recevrez une newsletter et soutiendrez nos actions.

Autres sites : alerte écran ; lève les yeux ; enfance-télé :danger ; lâche ton écran ; edupax ; les chevaliers du web …