À San Francisco, au cœur de la Silicon Valley, Alain Damasio met à l’épreuve sa pensée technocritique, il arpente « le centre du monde » et se laisse traverser par un réel qui le bouleverse.
Composé de sept chroniques littéraires et d’une nouvelle de science-fiction inédite, « Vallée du silicium » déploie un essai techno poétique troué par des visions qui entrelacent fascination, nostalgie et espoir. Du siège d’Apple aux quartiers dévastés par la drogue, de rencontre en portrait, l’auteur interroge tour à tour la prolifération des IA, l’art de coder et les Metavers, les voitures autonomes ou l’avenir de nos corps, pour en dégager une lecture politique de l’époque et nous faire pressentir ces vies étranges qui nous attendent.
Jean Baudrillard, philosophe, accompagne ce texte : « l’Amérique n’est ni un rêve, ni une réalité, c’est une hyper réalité. Tout ici est réel, pragmatique, et tout vous laisse rêveur. »
A.Damasio situe d’abord son récit autour du temple de la technologie : l’Apple Store de Los Angeles. Car il y a bien une atmosphère de religion autour d’Apple. Le contexte, c’est le capitalisme débridé couplé à cette nouvelle religion du summum de la technologie : deux milliards de fidèles dans le monde entier, « 150 milliards d’évasion fiscale, 70 milliards de bénéfices annuels, 2000 milliards de capitalisation boursière ». Et une absence de remise en question du dogme de l’individu performant, à augmenter.
L’auteur arpente la Silicon Valley, en y rencontrant des témoins de l’intérieur. Il évoque les effets de la voiture automatisée sur la conception de la conduite : à l’exact antipode de liberté des seventies, nous sommes transformés en utilisateurs passifs, fainéants, dans une illusiontotalitaire de sécurité : l’efficacité, la sécurité, maitres mots de nos quotidiens capitalistes.
Avec beaucoup d’humour, et des qualités littéraires incroyables, il décrit des situations quotidiennes à l’heure du numérique et de l’hyper contrôle : passer la douane dans un aéroport, les dérives d’un système de santé où chacun devient producteur de soi même comme individu sain. Exit la solidarité et le collectif.
Mais aussi le retard de nos réflexions sur les effets de ces technologies : »Nous flippons sur le gaz russe pendant que nos enfants jouent à Call of duty, bousillent leur sexualité naissante sur du porno accessible en un clic, encaissent dans leur chambre la brutalité ordinaire des réseaux sociaux et cèdent aux addictions pulsionnelles des plates-formes. Nous sommes en retard et nous le savons »
Alain Damasio entrevoit pourtant comment nous pourrions mieux vivre avec :
« Par trouées, nous pouvons entrevoir un art de vivre avec la technologie qui nous ouvre le monde plutôt que de nous le filtrer pour nos technococons. »
« Une authentique techno-critique ne peut se contenter d’être réactionnaire ou négative. Elle doit aussi esquisser ce que serait une technologie positivement vécue, qui sache conjurer ou rompre avec les addictions, les cycles de dépendance, la perversité délibérée des plates-formes qui est aussi ce que l’humain a injecté dans ces créatures de réseau. »
Le problème avec la technologie c’est qu’elle ne dépend plus de ce qu’on en fait, on lui a tout délégué y compris notre liberté d’agir et notre autonomie. La technique porte en elle la valeur « efficacité », la valeur « performance » alors qu’il y avait d’autres rapports au réel possible : la recherche d’harmonie, l’écoute, la contemplation ; en aval une technologie induit une multitude d’effets souvent difficiles à anticiper, elle porte en elle un nouveau rapport au monde donc croire encore à la neutralité des technologies n’est même plus de la naïveté : c’est une faute politique.
Analyse, poésie, humour, réflexion : voilà beaucoup d’arguments pour lire cet ouvrage ancré dans la modernité.