L’impact des écrans dans la vie des enfants provoque l’inquiétude du milieu enseignant!

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Témoignage d’une psychologue de l’Education Nationale

A l’école primaire, les enseignants sollicitent le psychologue de l’Education Nationale lorsqu’ils rencontrent des difficultés graves chez leurs élèves en terme d’apprentissage ou de comportement. Les élèves concernés ont entre 3 et 12 ans (de la PS jusqu’au CM2).

Je suis psychologue depuis 25 ans dans un secteur plutôt favorisé à 15 kms d’Orléans : « La population locale est relativement aisée… son niveau de ressources figurant parmi les plus élevés du Loiret » (données INSEE 12/07/2022).

Depuis ces cinq dernières années, les enseignants me demandent de voir de plus en plus d’élèves manifestants des troubles graves :

– en maternelle, ce sont par exemple des enfants de 3 ans qui arrivent sans langage et qui sont difficilement scolarisables tant leurs troubles du comportement et de la communication sont sévères :

« Théo, 3 ans court, tape, jette les objets à travers la classe, renverse les caisses de matériel, pousse les tables… il ne mobilise pas son attention, n’écoute rien. Il porte tous les objets à sa bouche : matériel de construction, paire de ciseaux, éponge gorgée d’eau, sable… il ne supporte pas la frustration : il crie, geint, monte sur les chaises et se met en danger… Il ne regarde pas dans les yeux et fuit le regard si l’enseignante insiste. Il fait de l’écholalie : si on lui dit : « Bonjour Théo », il répond : « Bonjour Théo ». Il connaît les couleurs, les animaux de la ferme, compte en anglais… ».

Depuis Théo en 2018, il y a eu Jade, Rose, Kim, Lise et bien d’autres enfants avec la même symptomatologie et la même histoire : des enfants nés en bonne santé, élevés par des familles aimantes qui sans se rendre compte du danger pour le développement de leurs bébés, les ont placé devant des écrans (télévision, smartphone, tablette…) parfois dès la sortie de la maternité !

– moins spectaculaire ce sont des enfants de 4 ou 5 ans à la motricité maladroite :

« Ambre n’arrive pas à tenir son crayon, elle n’a aucune force dans les mains. La maîtresse lui donne de la pâte à modeler pour tenter de muscler ses doigts, lui tient la main, la guide dans les tracés. A 5 ans, Ambre ne dessine pas et ne colorie pas alors qu’à son âge le bonhomme devrait être bien reconnaissable et détaillé ».

Comme cette petite fille, de plus en plus d’enfants arrivent en petite section sans avoir jamais tenu un crayon dans leur milieu familial. La tablette (moins salissante) a remplacé les feuilles de papier et les crayons.

– ce sont aussi tous ces enfants qui ne s’intéressent qu’aux super-héros des dessins animés ou des séries à la mode (exemple Squid Game), les mettant en scène à longueur de journée dans des jeux agressifs. Les apprentissages proposés par l’école font pâle figure à côté de ces contenus hyper-stimulants et potentiellement traumatisants.

« Léo en CP a été diagnostiqué hyperactif avec trouble de l’opposition par une neuropédiatre. Il est aussi totalement accroc aux écrans depuis son plus jeune âge et redouble d’ingéniosité pour contourner les limites parentales. Il a pu ainsi regarder pendant la sieste tous les épisodes de « Squid Game » ainsi que des films d’horreur comme « Annabelle » sur le smartphone que son père lui a imprudemment confié pour qu’il regarde Pat’ patrouille ».

Comme lui, les garçons surtout, sont confrontés dès le plus jeune âge à des quantités de jeux vidéo excitants, films d’horreur, séries violentes qui les empêchent d’être disponibles pour les apprentissages et entament leurs capacités de concentration volontaire. Leur mémoire de travail fonctionne très mal et je vois, en bilan psychologique, des enfants de 9 ans qui ne sont pas capables de mémoriser 3 chiffres et de les redonner en ordre inverse : maintenir ces 3 chiffres quelques secondes en mémoire immédiate et réaliser ce petit travail cognitif de restitution en ordre inverse leur est impossible !

– enfin, il y a tous ces élèves avec un langage pauvre qui possèdent très peu de connaissances culturelles et dont le vocabulaire est très restreint. On le sait, la quantité d’échanges verbaux entre les parents et leurs enfants ne cesse hélas de s’amoindrir tant la place des écrans au sein des familles devient de plus en plus envahissante. Or, l’organisation de la pensée ne peut se faire qu’avec un langage bien construit. La compréhension du langage écrit vient d’une part de la qualité du déchiffrement (lecture fluide et précise) et aussi du niveau de connaissances générales (en fonction de l’âge). Que dire de tous ces enfants diagnostiqués dyslexiques qui n’ouvrent jamais un livre mais qui passent tout leur temps libre sur les écrans !

La liste des problèmes liés à l’envahissement des écrans dans le milieu familial est longue. Depuis 2018, je ne cesse d’alerter les familles et de les conseiller afin qu’ils adoptent une utilisation des écrans plus adaptée aux besoins de leurs enfants. J’organise aussi des interventions auprès des enseignants et j’alerte ma hiérarchie régulièrement pour que des actions de prévention soient organisées : semaines sans écrans en 2018, conférence en 2019 par Anne-Lise Ducanda, formation de tous les membres des RASED du Loiret par Sabine Duflo en 2022.

Mais en cette fin d’année scolaire, face aux difficultés croissantes des élèves, les enseignants de plusieurs circonscriptions ont demandé à leur hiérarchie de se mobiliser sur le problème des écrans. En effet, de plus en plus d’élèves arrivent en classe très fatigués, ne peuvent plus maintenir leur attention pour les apprentissages et éprouvent des difficultés de mémorisation.

Si les enseignants sont aux premières loges pour identifier et mesurer l’influence des écrans dans la vie de leurs élèves en terme de durée et de contenu, ils sont par contre très désarmés pour intervenir auprès des familles.

C’est pourquoi, deux circonscriptions du Loiret m’ont sollicitée pour que je participe à une large réflexion sur le sujet. Dès la rentrée de septembre, un plan d’action d’information et de prévention sera organisé afin de minimiser l’impact des écrans sur le développement des enfants et leur scolarisation.

La tâche est lourde et complexe car l’école ne peut à elle seule résoudre un problème qui concerne, en premier lieu, les familles dans leur mode de vie.

C’est pourquoi l’information sur les dangers des écrans chez les jeunes enfants devrait être organisée plus largement dès leur naissance (sage-femme, maternité, puéricultrice, PMI, médecins…).

Catherine Vidal

PSY-EN

Loiret