L’article du Figaro de Mai 2021

image_pdfimage_print

Etudes, jeux, séries, réseaux : contraints depuis plus d’un an à un tête à tête avec leurs machines, les jeunes développent des comportements alarmants.

Trois articles dont un interview d’un membre de CoSE sur une consultation unique « surexposition écrans » à l’APHP pour les petits enfants et leurs parents.

Enfants, adolescents : quand les écrans les intoxiquent

Famille

Yvan* a 15 ans et il ne sort plus de chez lui. Depuis le début de la pandémie, ce collégien passe 15 heures par jour devant son ordinateur. Branché en réseau sur World of Warcraft, il s’endort vers 6 heures du matin pour se réveiller l’après-midi. Au début, il racontait à ses parents « gérer ses cours en ligne », mais il a décroché de sa scolarité. Au premier confinement, ces derniers « ont perdu le contrôle des usages de leur fils, pris dans un état de sidération anxieuse », raconte la pédopsychiatre Catherine Lacour Gonay, responsable médicale du centre d’évaluation et de soins pour adolescents (Cesa), en Seine- et-Marne. De permanence un soir de printemps, elle a vu cette famille en crise débarquer au grand hôpital de l’est francilien (GHEF). « Yvan était devenu extrêmement agressif dès que ses parents essayaient de limiter l’usage de l’ordinateur. Il avait bousculé violemment sa mère. La tension à la maison, en période de télétravail, était devenue intenable », rapporte-t-elle. Le collégien est resté une semaine, hospitalisé en pédiatrie pour une observation, avec un sevrage des écrans.

Jeux vidéo, réseaux sociaux, vi- déos YouTube, séries à gogo… La surconsommation d’écrans chez les plus jeunes n’est pas un phénomène nouveau. Mais, depuis un an, « on assiste à une flambée de l’addiction aux écrans » chez des enfants hospitalisés « pour des troubles anxieux, du comportement, des troubles du sommeil ou alimentaires », explique la pédo- psychiatre, également membre du conseil d’administration de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SFPEADA). Aujourd’hui, elle constate une difficulté à gérer leur usage chez « 90 % des adolescents » reçus au centre d’évaluation et de soins pour adolescents en Seine-et-Marne.

Cette surconsommation d’écrans est-elle venue cicatriser des troubles anxieux ou les a-t-elle provoqués ? « Les écrans ne sont pas la cause de la détresse psychique mais ils y participent », souligne le Pr Philippe Duverger, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU d’Angers, qui a fait face à une augmentation de 122 % des hospitalisations d’adolescents ces derniers mois. « Les constats de terrain ne sont pas bons. Les professionnels de l’enfance indiquent que les jeunes sont plus fatigués, plus nerveux et que leur consommation d’écrans a explosé, pointe Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open). Mais le lien de causalité n’est pas établi. C’est difficile de la faire part des choses entre une surexposition aux écrans et une qualité de vie familiale dégradée en raison de la crise sanitaire. »

Des parents débordés

Comme une loupe grossissante, les services de psychiatrie pédiatrique sont confrontés aux situations les plus graves. Des enfants amenés à l’hôpital par des parents à bout, débordés, en perte de repères éducatifs. Ainsi ce garçon de 9 ans, sur sa tablette jour et nuit, qui a poussé sa mère dans les escaliers. Ou encore cet adolescent qui urinait dans des bouteilles car il ne voulait pas quitter l’écran de sa chambre pour aller aux toilettes. Mais au-delà même de ces cas extrêmes, le numérique a pris une place accrue dans la vie de l’écrasante majorité des enfants et adolescents durant la pandémie. Avant la crise sanitaire, les recommandations de bonnes pratiques pas plus de deux heures par jour – étaient déjà transgressées par 93 % d’entre eux. En moyenne, ils passaient le double de temps sur des outils numériques, soit quatre heures par jour. Le confinement a amplifié ce phénomène. 62 %  des  enfants  et 68,9 % des adolescents admettent avoir augmenté leur temps d’écran durant le confinement, relève la dernière enquête de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps), dévoilé fin janvier. Une activité chronophage et statique qui suscite des inquiétudes sur le manque d’activité physique chez les plus jeunes. L’enquête indique également qu’une majorité des parents (51 %) font un lien entre leur obligation de télétravailler et le temps accru de leurs enfants sur ordinateur, tablette ou smartphone.

« Nous avons créé des moyens de travail et de communication pour lesquels nous ne sommes pas physio- logiquement faits. Avec le télétravail et l’école à la maison, le temps d’écrans pour le travail a augmenté de manière compréhensible. Il aurait fallu diminuer en parallèle le temps d’écran lié aux loisirs. Or, ils se sont plutôt additionnés », commente le chercheur David Thivel, membre du conseil scientifique de l’Onaps. Sa crainte est de voir cette consommation perdurer et ces comportements s’installer dans le temps. « Le plus dur, cela va être de faire demi-tour, de rompre avec ces mauvaises habitudes », souligne-t- il. La directrice générale de l’Unicef, Henrietta Fore, tire elle aussi la sonnette d’alarme. « La forte hausse du temps passé par les enfants et les jeunes devant les écrans suscite de plus en plus d’inquiétudes », a-t- elle déclaré à l’occasion de la Journée pour un internet plus sûr.

L’école à la maison pose la question de « la connexion imposée » aux plus jeunes et de « sa régulation », pointe Catherine Lacour- Gonay. « Les parents peinent à avoir un véritable contrôle de ce temps d’écran dédié aux cours. Sous prétexte d’usage scolaire, il y a eu des dérives. D’autant qu’eux-mêmes étaient très actifs sur les écrans. Il y a une perte des rythmes familiaux du côté des adultes comme du côté des enfants. »

Distribution de tablettes à des collégiens, cours en visio, devoirs à envoyer par mail… « Les parents n’ont pas toujours été consultés et ne sont pas tous contents de voir leurs enfants équipés par l’école. Certains estiment que leurs enfants se servent plus de ces tablettes pour jouer que pour travailler et s’inquiètent d’avoir perdu le contrôle », avertit Marie-Alix Leroy, à l’origine du groupe Facebook « Parents unis contre les smartphones avant 15 ans ». Au premier confinement, elle s’est étonnée de ne voir quasiment aucun nouveau parent adhérer à son groupe. « Aujourd’hui, nous avons cinq à dix nouvelles demandes par jour. Après une période de sidération et d’adaptation, les parents se sont rendu compte que les écrans prenaient trop de place et qu’ils s’étaient additionnés », juge Marie-Alix Leroy.

Ariane, cadre parisienne en télé-travail depuis un an, regrette ainsi que son fils de 13 ans ait pu enchaîner jusqu’à six « visio » par jour durant son année de 5e. « À cet âge, cela fatigue et entraîne des problèmes de concentration, note-t-elle. De plus, il avait tendance à naviguer sur l’ordinateur pour faire autre chose quand il s’ennuyait pendant le cours. Et c’était trop compliqué de le surveiller alors que j’étais moi-même connectée toute la journée !»

Inscription à des groupes WhatsApp ou téléchargement de TikTok pour rester en contact avec ses amis, devoirs sur ordinateurs, jeux vidéo et films tous les soirs en période de couvre-feu… « Quand les enfants y ont goûté, il est difficile de revenir en arrière. Aujourd’hui, c’est devenu un acquis pour certains enfants. Les parents sont obligés de faire la police pour qu’ils reprennent des bonnes habitudes, mais c’est compliqué », déplore Marie-Alix Leroy.

S’il juge essentiel de poser des limites et d’être clair sur les interdits, le Pr Philippe Duverger rappelle également que parler aux enfants uniquement de ce qu’ils ne peuvent pas faire entraîne des crises. « Il est tout aussi important de leur dire ce que l’on autorise et de leur proposer des activités, conseille-t-il. Il faut miser sur la reprise des activités partagées pour permettre à tout le monde de débrancher des écrans, les parents comme les enfants. » ■

Agnès Leclair

Les médiocres résultats de l’enseignement à distance

Depuis le premier confinement en mars 2020, les jeunes enfants se sont retrouvés obligés de travailler à domicile devant leur écran pour des résultats négatifs dans l’ensemble. Gorodenkoff/ Stock.adobe

À UNE AUTRE époque, pas si lointaine pourtant, à peine deux ans, il était convenu chez les professionnels de l’éducation que l’apprentissage par le biais unique des écrans n’était pas profitable à des étudiants avant… le stade du master. Pour des jeunes gens déjà matures, donc, et avancés dans leur projet professionnel.

Les étudiants de première ou deuxième année étaient encore trop jeunes et avaient tendance à décrocher, entendait-on de la part d’universitaires qui avaient créé des licences à distance. L’éducation passe nécessairement par une alternance entre distanciel et présentiel, assuraient-ils.

Puis sont arrivés le confinement de mars 2020 et la fermeture des écoles. Dès la maternelle, des millions de très jeunes enfants, de collégiens et de lycéens se sont retrouvés à travailler sur écran, parfois plusieurs heures par jour. Avec quelles conséquences ?

En France, les résultats sont contrastés. Selon les évaluations nationales, ce sont les jeunes élèves qui ont le plus souffert du manque d’école. Les résultats des élèves de CE1, à l’automne, l’ont démontré. Les élèves de sixième, plus autonomes, s’en sont mieux sortis. En revanche, à tout âge, les inégalités sociales, déjà fortes en France avant la pandémie, se sont accrues. Les élèves les plus fragiles, inscrits en éducation prioritaire ou dans l’enseignement professionnel, sont 10 % à avoir décroché à l’école, et près de 20 % ont décroché dans les collèges et les lycées, selon le rapport annuel de la Cour des comptes. Cette dernière a noté que l’accès au service public avait « été difficile » pour nombre d’enfants et de familles qui ont souffert de l’absence ou de l’insuffisance d’équipement ou de connexion. Ils ont aussi été confrontés à la concurrence des besoins scolaires au sein des fratries.

Inconvénients de l’isolement

Le travail dans le cadre de l’école à distance a par ailleurs « visé davantage la consolidation des acquis que la progression dans les programmes », a noté la Cour des comptes. Rares sont les enseignants ayant eu pour ambition de réaliser le programme. Toutes ces raisons ont conduit le gouvernement français à maintenir au maximum les écoles ouvertes ces derniers mois.

Même dans des pays mieux équipés, avec des enseignants bien formés, le constat n’est pas plus glorieux qu’en France. Des chercheurs du Leverhulme Centre for Demographic Science, à Oxford, estiment que les écoliers néerlandais qui sont passés en distanciel n’ont rien appris ou presque pendant la fermeture des écoles. L’étude montre que les écoliers n’ont pas acquis 20 % des progrès qu’ils font habituellement chaque année en mathématiques, orthographe et lecture, ce qui correspond aux huit semaines de fermeture pendant le premier confinement néerlandais, l’an dernier. La perte de connaissances serait deux fois plus importante pour les enfants dont les parents ont un faible niveau d’éducation. Cette étude est d’autant plus intéressante que les Pays-Bas sont parmi les pays les plus avancés en matière d’enseignement à distance. Les conséquences négatives de la fermeture des écoles sont donc probablement plus importantes dans la plupart des autres pays du monde, qui ne bénéficient pas des mêmes investissements en matière numérique. On l’aura compris, le numérique n’est pas à jeter avec l’eau du bain. Sans les écrans, et en dépit de tous leurs inconvénients, addictions et isolement, les déficits éducatifs auraient peut-être été plus importants…L’université de Cambridge s’est employée à calculer les conséquences de la fermeture des écoles dans les pays du Sud. Ses chercheurs sont arrivés à la conclusion que 66 % des apprentissages en mathématiques ont été perdus pendant trois mois de fermeture au Ghana par exemple, un pays peu doté en numérique. ■ Marie Estelle Pech

https://www.pnas.org/content/118/17/e2022376118

À l’AP-HP, dans une consultation de surexposition aux écrans

C’EST une première à l’hôpital public. Une consultation de pédiatrie pour surexposition aux écrans a lieu tous les lundis matin à l’hôpital Jean-Verdier à Bondy, un établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Ouverte il y a un an, elle s’adresse aux enfants de moins de 11 ans, mais la plupart des patients ont entre 3 et 6 ans.

Voix ferme mais sourire rassurant, derrière son bureau encombré de questionnaires, la Dr Sylvie Dieu-Osika reçoit Mariama* pour la deuxième fois. Enceinte de cinq mois, la jeune femme vient voir la pédiatre pour son aîné, Adam. À 3 ans, le petit garçon ne prononce que quelques mots : « papa », « pipi », « au revoir », « délicieux ». Adam a été gardé par sa mère pendant ses neuf premiers mois de vie. Quand elle a repris le travail, son père a pris le relais. À partir de cette période, l’enfant a grandi à côté d’une télévision allumée toute la journée et avec un smartphone dans les mains pour l’occuper ou le calmer. « On imagine difficilement que des tout-petits puissent être devant des écrans jusqu’à 8 heures par jour mais ce n’est pas si rare que cela », souligne la Dr Sylvie Dieu-Osika.

« Au début, je n’étais pas consciente pour les écrans, explique Mariama. Personne ne m’avait dit que ce n’était pas bon. C’est au moment où Adam est rentré à l’école que j’ai vu qu’il avait du retard et qu’on a commencé à me dire que cela n’allait pas. » Il y a un mois, après la première consultation, la jeune femme a révolutionné les habitudes de la famille. Adam ne touche plus à un téléphone et sa mère n’allume la télévision que pour voir les infos et son feuilleton.

Pendant la consultation, le petit garçon joue sagement avec une petite balle. Il voit qu’on l’appelle par son prénom, s’amuse à faire semblant » avec les jouets que l’infirmière lui a mis entre les mains.

– C’est bien, Adam, tu me regardes, tu comprends, félicite le docteur.

– Depuis qu’on a arrêté la télé, il nous réclame tout le temps. Avant, on était tranquilles, mais il n’apprenait rien. Il était comme un robot, reconnaît Mariama.

– L’effort dont il a besoin maintenant, c’est que vous soyez disponible pour lui. Il faut jouer, parler, nommer les choses qu’il vous montre, recommande le docteur.

Indisponibilité des adultes

L’attention des parents sur leurs enfants, les jeux partagés, c’est aussi ce qui manque dans les foyers où les écrans sont omniprésents, pointe Sylvie Dieu-Osika, qui tente de sensibiliser le grand public au phénomène « technoférence », cette indisponibilité des adultes plongés dans leur smartphone. Certes, depuis 2018, une politique de prévention a émergé. Le nouveau carnet de santé recommande d’éviter les écrans avant 3 ans. Un message jugé très insuffisant par le Dr Sylvie Dieu-Osika.« Personne ne lit le carnet de santé. Et depuis le passage à la 4G, les parents se servent de leur smartphone même à l’accouchement. Un bébé a besoin du regard de sa mère et de son père pour évoluer. On ne leur donne pas cette information assez tôt. Il faudrait faire passer un message de prévention dès la maternité. À 18 mois, beaucoup de bébés ont le téléphone entre les mains », insiste-t- elle. À certains parents, notamment les plus jeunes, qui ont grandi avec des écrans, elle donne des conseils aussi élémentaires que d’acheter une dînette et des petites voitures.

Dans sa consultation, les enfants qu’elle reçoit lui ont généralement été adressés par des professionnels de la petite enfance des protections maternelle et infantile (PMI), des médecins de crèche ou par des généralistes. Les troubles de ces tout petits vont du retard de langage à ceux de l’attention et du comportement. Ils peuvent aussi avoir des problèmes de sommeil et d’alimentation. « Les enfants de 3 ans que je vois n’arrivent pas à faire des phrases ou à associer deux mots », alerte Sylvie Dieu-Osika. Dans sa pratique, elle a repéré des situations à risque d’exposition inadaptée aux écrans : les familles de milieux socio-économiques défavorisés, la monoparentalité, la dépression post-partum, le logement exigu, les parents technophiles ou débordés.

À l’arrivée, la secrétaire du service aide les parents à remplir plusieurs questionnaires précis sur les habitudes et le développement de leurs enfants. Combien de temps par jour regarde-t-il des vidéos ? La télévision est-elle en permanence allumée à la maison ? Est-ce que l’enfant dit des mots ? Arrive-t-il à gérer ses émotions ? Le docteur vérifie ou réclame les bilans de psychomotricité ou d’audition. « Nous sommes dans une démarche médicale », souligne-t-elle. À la fin du rendez-vous, elle délivre des ordonnances d’un genre nouveau, où il est inscrit noir sur blanc : « N’allumez pas la télévision. Rangez les télécommandes. Mettez votre téléphone en mode silencieux et retirez les notifications. Rangez les tablettes ; fermez l’ordinateur. Vous pourrez rallumer les écrans quand votre enfant sera couché. ■

Agnés Leclair

Les confinements ont radicalisé les addictions aux écrans

LE  Pr  RICHARD  DELORME  est chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert Debré, à Paris. Depuis le début de la pandémie, le recours au service des urgences de cet hôpital a doublé chez les enfants et les adolescents. Et les troubles liés aux écrans apparaissent dès le plus jeune âge.

LE FIGARO. – Avez-vous perçu une surconsommation d’écrans chez les enfants et adolescents depuis le début de la pandémie et les confinements successifs ?

Richard DELORME. – Cette surconsommation existait avant la pandémie. Nous avons d’ailleurs créé un service spécial d’addiction aux écrans à Robert Debré pour y accueillir les familles, il y a six ans. Mais les confinements ont radicalisé ces addictions. C’est assez inquiétant, même si on comprend aisément pourquoi. Lors des fermetures de classes ou d’écoles, afin de pouvoir travailler, les parents ont pu avoir tendance à mettre les enfants devant des écrans. Ces derniers ont regardé la télévision mais surtout YouTube, des jeux vidéo, etc. Beaucoup de parents n’avaient pas d’autre solution. Ils ont dû lâcher la bride. L’école a participé aussi à ce phénomène avec les exercices envoyés par mails, les vidéos et les visios des enseignants. Le harcèlement entre adolescents via les réseaux sociaux a évidemment augmenté en parallèle de façon importante. Ce phénomène n’a rien de spécifique à la France. Il est mondial. Le secrétaire général de l’ONU a d’ailleurs mis en garde sur ce su- jet de façon spécifique.

Comment se traduisent ces addictions ?

Vous avez des adolescents mais aussi des enfants, parfois dès 7 ou 8 ans, qui passent du temps devant les écrans. À un tel point qu’ils peuvent développer des velléités suicidaires quand on leur demande d’arrêter ou lorsqu’on leur retire le smartphone ou la tablette. Plus le temps passé devant l’écran est important, plus c’est problématique. Cela dit, la tolérance des familles à ce sujet est très variable. Certains parents ne tolèrent pas plus de trente minutes par jour quand d’autres considèrent que deux heures quotidiennes sont acceptables.

N’avez-vous pas une vision un peu biaisée, dramatisée, en tant que professionnel, par le fait que vous voyez beaucoup d’enfants avec des pathologies ou des handicaps ?

Un enfant handicapé, autiste ou hyperactif, on peut avoir tendance à le coller devant un écran pour qu’il se tienne tranquille. Et il peut devenir facilement dépendant. Mais la problématique est en réalité générale, 95 % des parents sont débordés par cette question des écrans, tous milieux confondus. D’autant plus que les parents ont eux-mêmes souvent tendance à consulter des écrans en raison du télétravail, certes. Mais aussi parce qu’ils appartiennent à une génération qui a elle-même été habituée aux jeux vidéo. Tout n’est pas à jeter. Internet offre une ouverture sur le monde exceptionnelle. Certains sites et vidéos peuvent vous apprendre de nombreuses activités. Mais nous avons besoin d’une réflexion collective sur ce que l’on en fait. L’usage intensif des écrans, on le sait, est un phénomène corrélé à la dépression. Il est aussi associé à une mauvaise image de soi.

Quels conseils peut-on donner aux parents ?

Il y a des solutions. Il faut poser des règles. Des systèmes permettent de limiter l’usage, de bloquer l’accès aux réseaux sociaux, etc. Mais il faut surtout apprendre aux enfants à passer plus de temps sur des activités ludiques et des jeux d’imagination, hors des écrans. D’autant plus que les jeux vidéo, par exemple, limitent la capacité d’imagination. Plus on a l’habitude de pratiquer d’activités, tennis, football, cuisine, lecture ou autre, plus l’enfant va réclamer d’autres activités que les écrans.

Quelles conséquences la pandémie a-t-elle, plus globalement, sur l’état psychique des jeunes que vous recevez ?

Les enfants sont projetés dans des problématiques anxiogènes qui les perturbent liée au réchauffement climatique, la pandémie, l’isolement. Nous avons doublé notre activité aux urgences en pédopsychiatrie.

Nous avons remarqué une augmentation importante des tentatives de suicide, des troubles alimentaires et des troubles anxieux, parfois dès l’âge de six ans. J’ai vu récemment un jeune de 17 ans, extrêmement déprimé par ces derniers mois, un an passé derrière les écrans pour étudier. Une situation assez courante. C’est rude pour un jeune de cet âge… ■

PROPOS RECUEILLIS PAR

Marie-estelle Pech