Écrans: «Le “sursaut collectif” n’aura pas lieu sans une cohérence gouvernementale». Une tribune de CoSE publiée dans Figaro Vox, le 2 décembre 2023

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Le ministre de l’éducation nationale, dans Le Parisien du 13 Novembre 2023 appelle à un «sursaut collectif». Devant les résultats décevants en CP et en 4ème, il se dit inquiet «des résultats et des remontées du terrain» et souligne la responsabilité des écrans dans les troubles du sommeil comme de l’attention rapportés par les enseignants.

Depuis 2017 (Tribune le Monde 30 mai 2017) nous, CoSE[1], collectif de professionnels de l’enfance, avons lancé l’alerte et créé ce terme de surexposition aux écrans pour rendre compte d’un constat de terrain. Avec les associations partenaires regroupées au sein du Collectif Attention, nous avons dénoncé la manipulation de notre attention, en particulier celle des plus jeunes, par les différentes plateformes dans une visée commerciale et émis des propositions à l’intention des décideurs, notamment une politique de prévention à la hauteur des enjeux et un moratoire sur la numérisation de l’école[2]

CoSE a interpellé les différents décideurs : Santé Publique France (2017), le Cabinet du Président (2017), le Ministère de la Santé (2018, 2021), le Secrétariat d’Etat chargé de l’Enfance (2023) et tout récemment le porte-parole du gouvernement (2023). Résultat ? insuffisant et décevant : mention «pas d’écran avant 3 ans» dans le carnet de santé, quelques recommandations de bonne utilisation des écrans via des plateformes … Mais seuls 10 % des parents (ELFE, BEH 12 avril 2023) respectent ces recommandations, car les messages de prévention ne sont ni clairs, ni suffisamment diffusés. Aux parents, il faut répéter que l’écran n’apprend rien au tout petit et que seul un adulte disponible permet de faire progresser un enfant (le Figaro 1er juillet 2023). Les temps d’écrans des enfants et des parents ont décollé avec la Covid, aggravant la technoférence (le Figaro 5 mars 2021), retardant le langage, altérant le sommeil. Comment imaginer alors que nos enfants, fatigués et handicapés par leur niveau de langage, auraient un bon niveau de lecture et de bons résultats scolaires ?

Et les enfants grandissent ! ces écrans, extrêmement addictifs, que les parents ont tant de difficultés à réguler, l’Education Nationale en fait l’ardente promotion, aggravant considérablement les problèmes de sommeil et d’attention des élèves. En effet, le grand mouvement de numérisation de l’Education Nationale ne s’est guère arrêté avec la fin de la COVID. ENT, TBI, devoirs sur internet, MOOC, groupe classe sur WhatsApp : l’Education Nationale a dit oui à toutes les propositions des Ed Tech, entreprises qui vendent des technologies numériques aux institutions scolaires sans aucune évaluation ni étude préalable. RASED débordés, CMP surchargés, orthophonistes indisponibles, services de pédopsychiatrie en détresse, multiplication des dossiers de handicaps : voilà le résultat bien concret d’enfants certes surexposés dans les familles mais dont l’état s’aggrave lorsqu’on prétend les éduquer en les mettant dès la maternelle devant un écran.

La Suède a pris conscience de l’énorme dégât que produit une éducation tout numérique et revient à des manuels scolaires. Mais nous Start up Nation, quand remettrons nous l’élève au centre de nos préoccupations ? Quand la France va-t-elle légiférer ?

En maternelle, en élémentaire, au collège : la transmission des savoirs ne s’opère jamais aussi bien que lorsqu’elle est incarnée par un professeur. Plus tard à partir du lycée, lorsque les capacités de libre arbitre se constituent, l’introduction du numérique peut sans doute revêtir un intérêt, à condition qu’il soit encadré et que ses bienfaits soient évalués.

Nos propositions de bon sens, devoirs à noter sur un agenda papier, pas de recours à internet pour « faire » ses devoirs avant le lycée, maintien des manuels scolaires papier, sont soutenues par les parents, les enfants et les adolescents lorsqu’on prend la peine de les interroger à ce sujet. Mais ces propositions sont contraires à la démarche du ministre de l’Education Nationale. Sur le site education.gouv.fr, on nous annonce en effet le 16 novembre dernier le déplacement de Gabriel Attal et de Jean-Noel Barrot, ministre délégué chargé du numérique au salon Ed Tech « Organisé en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Educ@tech Expo est le (..) salon français des acteurs de l’innovation éducative.(..) À l’occasion de ce déplacement (..), les ministres présenteront leur vision du numérique pour l’éducation (..) avant de rencontrer des porteurs de projets soutenus par France 2030, (..) dans le cadre (..) du partenariat d’innovation intelligence artificielle (P2iA). Ces entreprises (..) mettent le numérique au service de l’apprentissage des savoirs fondamentaux. »

Voilà : les familles ont besoin de cohérence entre la prévention concernant le développement des enfants et la non-invasion des écrans dans les écoles et les collèges. Le « sursaut collectif » de Monsieur Attal ne deviendra réalité que si chacun de nos décideurs, y compris au sein de l’exécutif, aligne ses actions sur ses déclarations.

Signataires : les membres du Collectif surexposition écrans (CoSE)

Lise Barthélemy1,2, pédopsychiatre

Marie Claude Bossière 1,2, pédopsychiatre

Enora de Gouvello1,2, psychologue en protection de l’enfance

Sylvie Dieu Osika1,2, pédiatre

Anne Lise Ducanda1,2, médecin de PMI

Sabine Duflo1,2, psychologue clinicienne en CMP

Eric Osika, pédiatre1,2

Catherine Vidal 1,2, psychologue de l’Education Nationale

Avec le soutien des associations du Collectif attention (Lève les yeux, Alerte écrans, Enfance-télé : danger ?, Chevaliers du web, Priartem, Agir pour l’environnement et Halte à l’obsolescence programmée).

Le Collectif attention organise le 27 janvier 2024 à l’Académie du Climat à Paris les 3e Assises de l’attention, qui réuniront la société civile et débatteront de ces questions (la 2e table ronde est intitulée : « Numérique éducatif : où en sommes-nous ? »)

Vous pouvez vous inscrire en cliquant ici


[1]              Collectif Surexposition Ecrans, surexpositionecrans.fr

[2] Propositions politiques du Collectif attention accessibles sur www.collectifattention.com