Dans le dernier numéro de Marianne la journaliste Marie-Estelle Pech fait le point sur le dernier phénomène à la mode « Squid Games », la dernière série violente en vogue, passionne les cours d’école. Un phénomène qui ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Car, en quelques clics, des jeunes se nourrissent d’images nettement plus trash. « Marianne » a enquêté sur ces enfants-là et sur ces parents et enseignants souvent déconcertés face à une société envahie par le numérique.
Dans sa classe de maternelle, Delphine a surpris une petite fille chantonner 1, 2, 3 soleil. L’enfant a précisé : « Si tu perds, maîtresse, t’es éliminée. » Et un garçonnet d’ajouter : « Les pistolets sortent du mur et c’est fini pour toi. » Fine allusion à « Squid Games », la série sud-coréenne la plus téléchargée depuis l’avènement de Netflix. Une série violente et déconseillée aux moins de 16 ans, comme le spécifie la plate-forme. Cela n’empêche pas des parents de la regarder avec leurs jeunes enfants, comme a pu le constater Sophie, professeur d’une classe de CE2, à Toulouse : « La moitié a vu la série, soit avec un grand frère, soit avec les parents ! » Pas si étonnant, à en juger par les propos du neuroscientifique Michel Desmurget : « Ils se disent : ça n’a pas d’effet sur moi, donc ça n’en a sûrement pas sur mon enfant. Mais les structures des cerveaux ne sont pas les mêmes. ».
UN PHÉNOMÈNE SOUS-ESTIMÉ
Si le phénomène n’est « pas massif » selon les remontées du Snuipp-FSU, syndicat de l’enseignement primaire, il a cependant alerté la Rue de Grenelle qui s’est fendue d’une mise en garde, comme à chaque résurgence d’un jeu dangereux à la récré. « Plusieurs élèves, notamment les plus jeunes, s’amusent à des jeux classiques mais les revisitent en version “quand tu bouges, je te tue”. Les propos sont violents. Il est important de rappeler qu’il existe un âge pour tout visionnage » ont rappelé par courriel des dizaines de directeurs d’école aux parents d’élèves.
Parmi ces derniers, il y a ceux, dépassés, qui maîtrisent comme ils le peuvent l’invasion des écrans. À l’image de Nadia, dont le fils de 12 ans a regardé la série à son insu en streaming et qui se sent « complètement impuissante ». « Il ne faut pas accabler les parents. La quasi-totalité veut bien faire mais cette société du tout-numérique est un défi de plus pour eux. Le contrôle nécessaire de l’exposition aux écrans est une charge que nos parents n’avaient pas il y a trente ans. Même à l’école, il y a trop d’écrans » estime Benjamin Pitrat, spécialisé en addictologie pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré. Ses patients, surtout de jeunes garçons, sont essentiellement obsédés par des jeux vidéo qui vont déclencher troubles du sommeil, troubles anxieux et dépressions. Parfois une déscolarisation.
Ce n’est pas « Squid Games », simple partie émergée de l’iceberg, qui inquiète fondamentalement parents et éducateurs. Mais la pornographie violente, les scènes de guerre et de décapitation que certains vont chercher en trois clics. Un phénomène sous-estimé, selon l’enquête de Marianne. L’ultraviolence « peut laisser des traces traumatiques », rappelle Benjamin Pitrat. Son vade-mecum numérique : « On n’utilise pas l’écran comme une nounou, même si c’est parfois tentant, on n’expose pas l’enfant le matin avant d’aller à l’école, on ne met pas d’ordinateur dans la chambre d’un enfant, on met en place un contrôle parental pour les plus grands. »