Que se passe-t-il dans les maternités ? 

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Témoignages de sage-femmes et de puéricultrices. 

Marie-Claude Bossière et Catherine Vidal 

L’exposition des enfants aux écrans commence de plus en plus en plus tôt ! 

C’est le constat qui est fait malheureusement par les sages-femmes et puéricultrices qui interviennent auprès des jeunes parents dès la maternité ou dans les jours qui suivent la naissance du bébé. Leur pratique professionnelle est envahie par la présence des écrans : fixes comme la TV, souvent allumée en permanence, et nomades (smartphones et tablettes). 

Ces professionnelles de la petite enfance se sentent démunies devant un phénomène qu’elles observent dans les toutes premières heures du bébé qui vient au monde. 

Ainsi, les demandes de formation auprès de CoSE, concernant la toute petite enfance sont nombreuses. 

Les questions de ces professionnelles de santé portent sur les effets que ces écrans ont directement sur le bébé mais aussi sur la répercussion qu’ils auront insidieusement sur la relation parent / enfant qui se construit au jour le jour. 

Elles s’inquiètent et demandent des clés pour comprendre et agir dans l’intérêt de l’enfant.  

Citons quelques témoignages : 

« A la naissance, sur la table daccouchement, beaucoup de mamans regardent à peine leur bébé, tout occupées quelles sont à envoyer en direct des messages ou vidéos tous azimuts sur les réseaux sociaux… Le père du bébé en fait autant, bien sûr, de son côté ! »  

Comment accueillir un nouveau-né dans ces conditions? On peut donc penser que l’arrivée d’un nouvel humain dans la famille, la rencontre avec ce nouvel être aurait moins de valeur que la connexion avec des « amis » absents ou virtuels. Quelle valeur donner à la vie ? Certains services de maternité pensent d’ailleurs interdire des objets numériques dans la salle de travail. 

  « Dans les chambres de la maternité, certaines mamans dorment avec la télé allumée 24h sur 24. Elles mettent des dessins-animés ou des clips de musique. Si la sage-femme leur demande d’éteindre pour dormir, elles refusent de le faire car disent-elles, elles ne peuvent pas dormir sans télé allumée en continu »

Les parents d’aujourd’hui, trentenaires le plus souvent, donc nés dans les années 1990-2000 sont effectivement issus de cette génération qui a connu la multiplication des ordinateurs familiaux, des consoles de jeux, puis à partir de 2008 des smartphones, et des tablettes dès 2012. Ils ont connu la télévision dans leur chambre, servant déjà d’environnement « préparant » le sommeil, bien qu’on puisse plutôt dire qu’il empêche son installation spontanée. Le bébé dans la chambre de sa mère à la maternité est donc placé lui aussi dans cette stimulation lumineuse et sonore dès le début de sa vie. 

« Les sages-femmes trouvent souvent le téléphone portable allumé ou éteint dans le berceau du nouveau-né (réceptacle de ce qui est précieux : bébé et téléphone !) ». 

« Dune manière générale, les mamans font plus confiance aux applications quelles téléchargent sur leur téléphone quaux professionnelles. Elles ne cherchent pas non plus à sajuster aux besoins de leur bébé. Cest lapplication qui leur indique les heures de tétée, change, sommeil… ». 

Ces témoignages rendent compte de la transformation majeure de l’accueil du bébé dans nos sociétés, jusqu’alors très attentives à ces moments uniques, en particulier depuis les travaux des fondateurs des théories du développement du jeune enfant, où la place des interactions, de l’attention spécifique des parents, de la « préoccupation maternelle primaire » ont fait l’objet de tant de soins. 

Et plus tard, au domicile, les constats sont alarmants : 

« Lors des visites à domicile de la PMI, les sages-femmes ou puéricultrices observent que la télé est allumée en continu, le téléphone utilisé sans arrêt par les mamans pendant leur intervention. Elles tentent de parler des écrans mais constatent beaucoup de réticences, déni voire hostilité de la part des mamans. Les professionnelles de santé sont démunies face à ce phénomène… » 

Les sages-femmes et puéricultrices cherchent des informations et des modes d’interventions pour répondre à ces situations. En effet, c’est le cas de nombreux professionnels du soin : comment parler de la place que prennent les écrans ? comment informer sans culpabiliser? 

Voici quelques conseils que l’on peut donner : 

  • Avant toute intervention, au domicile ou à la maternité, demander aux parents d’éteindre la télévision, de mettre tous les téléphones en mode avion (enseigner de bonnes habitudes aux parents et expliquer pourquoi c’est important pour le développement du bébé).  
  • Organiser une séance de prévention / écrans (individuelle ou groupe) avant la sortie de la maternité. 
  • Utiliser l’affiche « INSTA » avec les parents pour engager un dialogue sur l’usage des écrans. 
  • Faire de la pédagogie sur le développement des bébés (utiliser des petites vidéos comme « l’élagage synaptique » de Céline Alvarez ou les vidéos suisses d’Action Innocence.  En effet, les parents ne connaissent plus la valeur fondamentale de la relation du bébé avec ses parents pour le bon développement du jeune enfant. Ils méconnaissent la valeur de ce qu’ils peuvent leur apporter, ils méconnaissent donc leur propre valeur. Leur apporter des connaissances peut les aider à changer des habitudes dont ils ignorent la toxicité.  
  •  Rencontrer des parents qui ont surexposé leur enfant dans des groupes de parole peut s’avérer très utile pour les nouveaux parents afin qu’ils acquièrent de bonnes habitudes de gestion des écrans. 

Enfin, voici un petit texte inspiré de tous ces témoignages qui pourrait avoir été écrit par tous les nouveaux-nés (s’ils le pouvaient…) et envoyé à leurs parents. 

« Si tu cherches ta mère, tu la trouveras sur INSTA ! » 

Dans les salles daccouchement modernes, le bébé arrive au milieu dune scène de tournage de cinéma. Père et mère filment en direct son arrivée sur terre et postent immédiatement l’événement sur les réseaux sociaux… Likes, pouces, cœurs pleuvent alors sur leur téléphone. 

Ils sont ravis ! 

Plus tard, dans la chambre de la maternité, le bébé, dans son joli pyjama, attend que lapplication téléchargée par Maman donne le signal de la tétée… 

« Regarde-moi ! prends-moi ! parle-moi ! » pourrait réclamer le bébé sil le pouvait. « Lâche ton smartphone, éteins la télé, je veux ma mère tout simplement ! Je veux quelle maccueille, me touche, membrasse ! Quelle me nourrisse quand jai faim, me porte et me parle quand je pleure ! Quelle tâtonne dans son rôle de mère et que lon apprenne à se connaître jour après jour » 

« Je veux une mère disponible et souriante, une mère qui me regarde et qui me parle ! » 

« Une mère présente pour moi seulement ! » 

Catherine Vidal 

Psychologue