« Les signes repérés au premier rendez-vous ont rapidement régressé avec l’arrêt des écrans »

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Témoignage d’une orthophoniste : Ivan, 3 ans.

Je reçois en bilan Ivan, élève en petite section de maternelle (3 ans et 3 mois) en décembre 2017. Les parents ont été alertés par l’enseignante qui a remarqué une difficulté à comprendre les consignes et à s’exprimer. La pédiatre avait conseillé un bilan orthophonique aux visites des 24 mois et 36 mois. L’audition a été vérifiée, elle est normale.

Dans un premier temps, l’observation de ce petit garçon et les observations que me rapporte la maman, m’évoquent un comportement de type autistique, puisqu’il présente certaines particularités :

  • Ne répond pas à son prénom, et ne l’utilise pas pour parler de lui, ni le « moi » ou encore le « je »
  • Apparition du pointage tardive
  • Fuite du regard
  • Echolalie, c’est-à-dire qu’il répète systématiquement ce qui lui est dit, et surtout de façon inappropriée. Par exemple, je lui dis : « Tu me donnes la banane ? », il répète « banane », plus tard je l’encourage en disant « super ! », il répète avec la même intonation « super ! ».
  • Peu de mimiques
  • Intolérance à la frustration et au changement de lieu ou d’activité. Iliès peut pleurer, se jeter par terre, faire des « crises », soit parce qu’il veut quelque chose, soit parce qu’il échoue dans sa tentative de communication.
  • Maladresse dans ses déplacements et dans sa motricité fine
  • En retrait du groupe-classe à l’école

La réalisation du bilan fait rapidement apparaître un retard de langage très important, de plus de 18 mois.

En compréhension : il ne sait pas où est situé sa bouche ou encore son nez, il ne désigne pas les couleurs, mais sa mère me dit qu’il les connaît en anglais grâce aux dessins animés, et en effet quand je les dis en anglais, il me les désigne mieux qu’en français. Il ne comprend pas de consignes simples de type « donne-moi la cuillère ».

En expression : il utilise quelques mots isolés en français et a regardé des dessins animés en anglais, donc il connaît les couleurs en anglais, les nombres de 1 à 10, et sait dire « hello ». Pour s’exprimer, il pointe et répète « ça, ça, ça ».

La mère a rempli l’IFDC (Inventaire Français du Développement Communicatif) de S. Kern qui consiste à cocher les mots produits par l’enfant spontanément (pas en répétition), ce qui donne un total de 40 mots (ce qui situe Ivan entre le 10e et le 25e percentile des enfants de 24 mois, c’est-à-dire dans la zone faible à très faible) où figurent des mots interrogatifs (où, quoi), des substantifs (poisson, moto), des adjectifs (chaud) et des mots de routine conversationnelle (allo, aie, merci).

Pendant toute une séance, je vais explorer avec la maman quelle est l’utilisation quotidienne qui est faite des écrans.

Actuellement Ivan passe trois heures devant des écrans par jour (télévision avec les chaînes Gulli et Boomerang, vidéos Youtube Kids et jeux interactifs sur le smartphone) et la télévision est constamment allumée à la maison du matin au soir, car quand il ne la regarde pas, ce sont ses parents qui la regardent, l’écoutent, y compris pendant les repas.

Cette surexposition aux écrans a commencé lorsqu’il avait 18 mois et sa mère me dit que c’était pire lorsqu’il n’allait pas encore à l’école (c’est-à-dire entre ses 18 mois et ses 3 ans, soit pendant un an et demi). Ivan allume immédiatement la télé lorsqu’il rentre chez lui, si sa mère l’éteint, il la rallume dès qu’il revient dans la pièce.

La famille a rapidement pris conscience du problème causé par cette surexposition aux écrans et nous avons réfléchi ensemble aux moyens de diminuer ce temps d’écrans. Au 5e rendez-vous, la famille avait réussi à éteindre la télévision le matin et pendant les repas. Le changement d’habitudes a été plus facile que ce qu’elle pensait.

Au bout d’un mois et demi presque sans écrans (seulement une heure environ le soir), grâce aux changements mis en place par la famille, Ivan a déjà progressé sur un certain nombre de points :

  • Le pointage proto-déclaratif (pour partager émotions, expériences et intérêts) est apparu, accompagné du mot « regarde ».
  • Il entre plus aisément en communication avec l’adulte, le regard est plus présent.
  • Il ne répète plus les phrases de l’adulte de manière systématique, comme en écho.
  • Il nomme de plus en plus les personnes de son entourage, alors qu’il ne nommait que des personnages de dessins animés et se nomme désormais lui-même en disant « Ivan ».
  • L’intolérance à la frustration s’exprime de manière moins fréquente et moins exacerbée, il ne se jette plus au sol comme avant.
  • Ses capacités de compréhension sont meilleures.
  • Les parents passent désormais du temps à jouer avec Ivan.
  • A l’école, il fait désormais partie du groupe classe, alors qu’il restait tout seul et ne fait plus de crises aux changements de lieux ou d’activité.

Ivan entre désormais facilement en relation avec l’autre, les signes repérés au premier rendez-vous ont rapidement régressé avec l’arrêt des écrans.

Cependant il conserve un retard de langage important, dû au temps passé devant les écrans et pendant lequel il n’a pas pu échanger avec ses proches, ni jouer comme le fait un enfant de 18 mois avec les objets. La rééducation orthophonique devra continuer, ainsi que l’accompagnement des parents. La mère sait désormais qu’elle ne fera pas la même erreur avec la petite sœur d’Ivan.