Je suis pédiatre, je vois des enfants tous les jours. De tout âge, de tout milieu. Des enfants-princesses, des enfants-stars, des enfants-clowns, des enfants-tétines, des enfants-lunes, des enfants-j’ai-la-banane, de toutes sortes.
Hier J’ai vu un enfant-écran.
C’était évident dès les premières minutes de consultation. Ibrahim a 7 ans, sa maman vient me voir car il tousse beaucoup, accompagnée de son ainé de 12 ans . En entrant dans mon cabinet j’ai tout de suite été frappé par son regard. 7 ans c’est grand : beaucoup de choses se passent dès ce premier échange. Mais là rien. Son regard a balayé le tour du cabinet sans qu’il ne souhaite du tout accrocher le mien. Il ne m’a pas évité, non. Et le sourire n’a pas quitté son visage. Mais il n’a pas considéré que j’avais un quelconque intérêt ou importance. En revanche j’ai vu qu’il avait vu les petites figurines derrière moi sur l’étagère. Son corps aussi se déplaçait de façon inhabituelle dans le cabinet sans qu’il cherche à respecter une distance de sécurité, procédé habituel quand on ne connait pas l’autre. Certains enfants restent en retrait, plus ou moins collé à leur mère sur la chaise, d’autres franchissent la limite du bureau, mais dans un franc désir de désobéir. Ibrahim ne faisait rien de tout cela, il semblait seulement indifférent à ma présence et à toutes ces règles sociales et se promenait dans un espace sans véritable limite . « Ça va l’école ? » La question n’est pas anodine et c’est le grand frère qui répond « oh oui depuis qu’il est en classe Ulis ça se passe beaucoup mieux ! ». La maman complète tout sourire » c’est parce qu’on mettait trop la tablette, alors ça n’allait pas du tout, mais la PMI m’a dit d’arrêter et depuis ça va beaucoup mieux ». Papa a acheté une tablette pour faire plaisir à ses fils mais le petit dernier est « tombé dedans » alors qu’il n’avait que quelques mois « Il adorait ça, alors il la réclamait tout le temps et moi ça me permettait de faire le ménage, la cuisine, tout ça quoi, il la regardait toute la journée ». Je questionne alors le grand « mais toi, pourquoi ça n’a pas été pareil ? Il répond aussitôt « Moi petit j’étais au Sri Lanka, il n’y avait pas d’électricité alors je jouais dehors ». Ibrahim parle bien, il n’est pas plus agité qu’un autre enfant de son âge et il a le sourire du reste de sa famille. L’examiner ne pose aucun problème mais il gardera toujours cette distance un peu étrange comme s’il était ailleurs. Dans un monde où Pat Patrouille et Sam le Pompier sont autant ses amis que Nael ou Alicia. Il a eu de la chance : la rencontre avec la PMI qui a alerté la maman assez tôt et cette classe ULIS où il va pouvoir s’épanouir et progresser. Aucune étude scientifique internationale ne racontera son histoire et il ne saura pas qu’on discute parfois sans fin (entre experts !) si les dégâts si graves observés chez les enfants sont une cause, une conséquence des écrans ou sont simplement inventés par des professionnels de terrain avides d’alimenter une « panique morale »…
Hier j’ai vu un enfant-écran et j’ai craint que ce ne soit pas le dernier.
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» Les écrans et les enfants : maintenant comment fait-on? Cherchons ensemble des solutions! »
organisée à Paris le Samedi 24 Septembre 2022 par le collectif CoSE