Texte adressé au gouvernement à l’initiative du docteur Servane Mouton soutenu par :
La Société Francophone de Santé et Environnement – Présidente : Madame Catherine Cecchi
La Société Française d’Ophtalmologie – Docteur Carl Arndt
La Société Française de Pédiatrie – Professeur Agnès Linglart
La Société Française de Santé Publique – Présidente : Professeur Anne Vuillemin
La Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent – Président : Professeur Bruno
Ce texte a fait également l’objet d’une tribune dans le journal le Monde le 29 avril 2025
Cet appel à une prise de conscience collective s’adresse aux jeunes parents, aux enseignants, éducateurs et pédagogues, aux soignants, aux décideurs politiques et à toutes celles et ceux qui s’intéressent à la santé des enfants.
La vérité est parfois difficile à entendre. Les conséquences d’une exposition précoce et prolongée aux écrans sont avérées et ont déjà lourdement impacté une jeune génération sacrifiée sur l’autel de la méconnaissance… Mais en 2025, le doute n’est plus permis et les très nombreuses publications scientifiques internationales sont là pour nous le rappeler. Ni la technologie de l’écran ni ses contenus, y compris ceux prétendument « éducatifs » ne sont adaptés à un petit cerveau en développement*. L’enfant n’est pas un adulte en miniature : ses besoins sont différents.
Chaque jour les pédiatres, médecins généralistes, pédopsychiatres, neuropédiatres, les orthophonistes, psychomotricien-ne-s, ergothérapeutes, et les enseignants de maternelle et de cours préparatoire constatent les dégâts produits par une exposition régulière aux écrans avant l’entrée à l’école primaire : retard de langage, troubles de l’attention, de la mémorisation, agitation motrice…
Chaque jour de nouvelles publications scientifiques soulignent dans cette tranche d’âge les effets négatifs d’une exposition répétée, même brève, aux écrans en terme de développement socio-relationnel, affectif, intellectuel et neurologique, et de santé somatique. Si tous les milieux socio-éducatifs sont concernés, les expositions sont plus fortes dans les foyers défavorisés, contribuant à l’accroissement des inégalités sociales. S’il repose en partie sur des facteurs génétiques, le neurodéveloppement résulte surtout d’un savant mélange d’observations et d’interactions riches et variées avec l’environnement. Les six premières années de vie sont à ce titre fondamentales. L’enfant explore son milieu en sollicitant tous ses sens, tout son corps, guidé par les figures parentales bienveillantes et attentives. Les apprentissages sont alors particulièrement nombreux sur le plan moteur, sensoriel et intellectuel. Ils fondent le socle cérébral de l’enfant, socle qui fera de lui être à l’un esprit efficient, curieux et éclairé.
Or les écrans quelle qu’en soit la forme (télévision, tablette, téléphone) ne répondent pas aux besoins de l’enfant. Pire, ils entravent et altèrent la construction de son cerveau.
D’abord, leurs contenus sont trop riches. La cadence infernale de défilement des images des jeux, films ou dessins animés et la multitude de stimuli sensoriels lumineux et sonores captent puis emprisonnent son attention irrésistiblement, donnant une fausse illusion de « concentration ». En réalité, ces stimuli saturent très rapidement ses capacités de traitement des informations et épuisent ses ressources attentionnelles le rendant alors inapte à comprendre et apprendre quoi que ce soit. Ce flux compromet les connexions neuronales non encore consolidées, pouvant altérer durablement le fonctionnement de son cerveau.
Ensuite, ces activités sur écran sont trop pauvres, réduisant le centre d’intérêt et le champ de vision de l’enfant à quelques centimètres carrés, ne lui mettant à disposition qu’une succession d’images en deux dimensions et de sons enregistrés, sans rationalité ou logique communicative et sensorielle, bien loin de la richesse des interactions naturelles qu’offre la « vraie vie ». En outre, l’écran affecte irrémédiablement le volume et la qualité des interactions intra-familiales indispensables au développement du langage et des compétences socio-relationnelles. Lorsque les mots manquent, les réseaux cérébraux du langage se construisent mal, faisant peser une réelle menace sur le développement ultérieur.
Ces mêmes outils numériques risquent de nuire à la santé physique de l’enfant. Le développement visuel peut être modifié avec un risque accru de myopisation et des
conséquences rétiniennes à long terme du fait d’une sensibilité plus importante de la rétine à la composition spectrale de la lumière, d’une transmittance majorée de l’oeil de l’enfant à la lumière bleue et de l’accommodation souvent prolongée sur les écrans. Le sommeil, pilier de la santé globale mais aussi des apprentissages est également perturbé par l’exposition aux écrans en particulier en fin de journée, dans les heures précédant le coucher.
Il serait pourtant simple de protéger nos enfants de ce danger comme nous le faisons instinctivement de ceux qui semblent plus évidents. Il ne viendrait ainsi à personne l’idée de laisser un enfant de moins de six ans traverser seul la rue. Alors pourquoi l’exposer à un écran, alors que ceci compromet sa santé et son avenir intellectuel ?
Ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas de diaboliser les outils numériques et leur usage mais il y a un âge pour tout ! Il n’y a pas de controverse possible quant à l’indication « ne convient pas à un enfant de moins de 36 mois » pour un jouet présentant de petits éléments qui l’exposent à un risque d’étouffement, ou quant à la vente d’alcool ou de tabac interdite aux mineurs du fait de leur impact majeur sur un cerveau en construction. De même, il faut admettre que les activités sur écrans ne conviennent tout simplement pas aux enfants de moins de six ans : elles altèrent durablement leur santé et leurs capacités intellectuelles.
Or un enfant dans les premières années de sa vie subit l’environnement proposé par l’adulte, très souvent pour le meilleur mais parfois pour le pire. Alors qu’il n’est pas encore en capacité de comprendre par lui-même ce qui est bon ou néfaste pour lui, cet environnement familier devrait répondre à ses besoins d’exploration, de découverte et de sécurité pour lui permettre de s’épanouir harmonieusement. Protégeons-le. Posons nos smartphones et éteignons la télévision pendant les moments partagés, les jeux, les repas. Et ne le mettons pas devant un écran.
Que pouvons-nous faire, en tant que spécialistes de la santé des enfants ? Expliquer sans attendre et diffuser par tous les moyens possibles aux parents, aux familles, à tous les professionnels de santé et de d’éducation, que le message « pas d’écran avant 3 ans » est clairement insuffisant et doit être actualisé à la lumière des connaissances récentes. Les recommandations doivent être étendues sans ambigüité possible : « pas d’écran avant 6 ans ». Nous tenons à souligner que ceci s’applique à la maison comme à l’école, par souci de cohérence, mais aussi et surtout et parce que les effets sur la vision et sur les rythmes circadiens sont indépendants du contenu.
Les institutions, l’Etat, ont un rôle majeur à jouer. Car la formation de tous les professionnels en lien avec la petite enfance, soignants comme pédagogues, est indispensable. De larges campagnes d’information et de sensibilisation du grand public sont également nécessaires et devront être renouvelées fréquemment et régulièrement.
Il ne s’agit cependant pas uniquement d’évincer les écrans, mais aussi de créer un environnement favorable à la santé et à l’épanouissement de l’enfant. Il faut des interventions de guidance des parents visant notamment à développer leurs compétences psychosociales, et le déploiement de projets éducatifs dédiés dans les structures d’accueil. Il s’agit aussi de favoriser les activités alternatives telles que la lecture à voix haute, les jeux (libre, de société ou en plein air), les activités physiques ainsi que les activités créatives et artistiques.
Autant d’initiatives qui permettraient de redonner du pouvoir d’agir aux adultes qui accompagnent au quotidien, et avec leurs moyens, les enfants.
* Hormis pour les des enfants à besoins éducatifs particuliers, tels ceux présentant un trouble du neurodéveloppement, qui pourraient tirer bénéfice de l’usage des outils numériques, ceci relevant d’une prescription et d’un accompagnement spécifique médical, paramédical et pédagogique.
Quelques références scientifiques (complément sur demande)
Humanité et numérique : les liaisons dangereuses, coordonné par le Dr Servane Mouton. Editions Apogée, 2023.
Digital Screen Time and Myopia: A Systematic Review and Dose-Response Meta-Analysis. Ha A, Lee YJ, Lee M, Shim SR, Kim YK. JAMA Netw Open. 2025 Feb 3;8(2):e2460026. The Relationships between Screen Use and Health Indicators among Infants, Toddlers, and Preschoolers: A Meta-Analysis and Systematic Review. Li C, Cheng G, Sha T, Cheng W, Yan Y.Int J Environ Res Public Health. 2020 Rapport Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu. https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/16/06a9854b34d98bb3e4fbf72b2b28ed3b0dd601a1.pdf Contact Docteur Servane Mouton, neurologue, co-présidente de la Commission sur