Ecrans et autisme : une étude publiée en février 2022 retrouve une association préoccupante

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Dans cette étude longitudinale de grande envergure une association significative est retrouvée entre temps d’écrans à un an et le diagnostic d’autisme posé à 3 ans chez le garçon.

M. Kushima et al., « Association Between Screen Time Exposure in Children at 1 Year of Age and Autism Spectrum Disorder at 3 Years of Age: The Japan Environment and Children’s Study », JAMA Pediatr, janv. 2022, doi: 10.1001/jamapediatrics.2021.5778.

Près de 90 000 paires (maman-enfant) ont été étudiées dans ce suivi de cohorte néonatale japonaise (15 régions différentes du Japon) entre 2011 et 2014. Le temps d’écran (TV et DVD) était rapporté par la maman à l’âge d’un an. Un questionnaire de développement cognitif standardisé, largement utilisé dans le monde (Age and Stage Questionnaire ou ASQ) était aussi réalisé à cet âge. Les mêmes données étaient reprises à 3 ans et on demandait à la maman si un diagnostic d’Autisme avait été posé pour leur enfant par un médecin. Différents facteurs de confusion ont été contrôlés : a) des facteurs maternels : le niveau socio-économique, l’âge d’accouchement, diverses fragilités mentales (anxiété, stress, dépression) ; b) des facteurs concernant l’enfant : le questionnaire ASQ à 1 an était aussi pris en compte. Ce questionnaire explore différents thèmes de développement : la communication, la motricité globale, la motricité fine, la résolution de problème et les aptitudes sociales. Chaque item donne lieu à un score et un chiffre de seuil « anormal » a été validé pour chacun d’entre eux. Dans cette étude tout enfant ayant un chiffre en dessous du seuil dans le moindre item était exclu de l’analyse statistique (voir facteurs de confusion ci-dessous).

En prenant en compte ces différentes variables d’ajustement une association significative proportionnelle a été retrouvée entre temps d’écran à un an et diagnostic établi d’autisme à 3 ans chez les garçons. Les Odds ratio étaient respectivement, en comparaison du groupe  «  ne regarde pas les écrans » à 1 an

Une augmentation du risque de diagnostic d’autisme à trois ans :

1.38 pour les garçons regardant les écrans moins d’une heure par jour à un an

2.16 pour les garçons regardant les écrans entre une et deux heures par jour à un an

3.48 pour les garçons regardant les écrans entre deux heures et quatre heures par jour à un an

3.02 pour les garçons regardant les écrans plus de quatre par jour à un an

On retrouve donc une association significative entre temps d’écran à un an chez le garçon et diagnostic d’autisme deux ans plus tard. Cette association n’est pas retrouvé dans le groupe des filles.

Les facteurs de confusion :

Dans cette étude japonaise de très grande ampleur, différents éléments sont à considérer : plusieurs facteurs de confusion ont été pris en compte (mais il n’est jamais certain que tous ont été mesurés). L’association retrouvée est bien proportionnelle et le facteur temporel est bien respecté (le temps d’écran précède de deux ans le diagnostic d’autisme). Ce qui donne une force particulière à cette association (voir encadré ci-dessous).

Un des facteurs de confusion possible est la possibilité qu’à 1 an ce sont des enfants déjà autistes qui regardent plus la télévision.  Différentes études chez des enfants TSA plus grands ont en effet confirmé que les temps d’écrans étaient plus importants. C’est une hypothèse difficile à écarter car il n’y a pas de test diagnostic d’autisme à l’âge de 1 an. Pour essayer de répondre à cette question les auteurs ont essayé une autre approche. Ils ont écarté à un an tous les enfants qui avaient la moindre anomalie du score d’ASQ. En effet certaines études ont montré que dans 80% des cas les enfants souffrant d’autisme avaient un score d’ASQ anormal tout petit. Ils ont essayé de cette façon d’écarter les enfants qui seraient à un an déjà susceptibles d’être autistes.

En conclusion :

Cette étude met en évidence une association inquiétante entre temps d’écran à un an et diagnostic d’autisme à trois ans chez le garçon. Comme nous l’avons vu, elle ne peut pas prouver une causalité. Mais différents éléments confirment la force de l’association retrouvée et il n’est pas possible d’écarter la possibilité que ce lien entre écran et autisme soit réel

. Deux éléments peut-être encore plus inquiétants sont à rappeler : premièrement que cette étude a eu lieu entre 2011 et 2014 avec des temps de télévision et de vidéos. Depuis cette date les temps d’écran des tout petits ont explosé avec l’utilisation des portables et depuis 2019 du fait de l’épidémie. Deuxièmement dans cette étude, pour retenir le diagnostic d’autisme, il fallait qu’il ait été confirmé par un médecin. Or on sait qu’à trois ans seuls les autismes les plus graves ont été reconnus comme tel par le corps médical. Le nombre d’enfants souffrant de symptômes plus modérés entrant dans le spectre de l’autisme pourrait bien être nettement supérieur.

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Cette association n’est pas suffisante pour prouver une causalité. Pourquoi ?

Tout simplement parce que lorsque l’on fait une étude qui observe un phénomène en vie réelle il n’est jamais possible d’établir un lien de causalité. Seule la mise en évidence d’une association est possible. Pour  pouvoir étudier une relation de causalité seules les études expérimentales  peuvent apporter cette information, car elles seules peuvent contrôler tous les facteurs impliqués et les faire varier pour les comparer. Dans le cas présent, écrans et autisme, elle n’est pas éthiquement envisageable. Pour mémoire la plupart des études connues sont essentiellement fondées sur des associations sans causalité. Quand on conclue que la limitation de la vitesse en France a fait chuter le nombre de décès sur la route, c’est une simple association de deux faits observés et il est tout à fait possible de dire « Association n’est pas causalité ! » On peut donner de multiples exemples équivalents : la mise en place de la vaccination et la diminution des maladies (association), le tabagisme et le cancer du poumon (association là encore). L’affirmation d’une causalité ne peut pas être le résultat d’une étude statistique habituelle standard. Elle ne peut être issue que d’un travail de synthèse des différentes études, observationnelles, éventuellement animales ou en laboratoire.  Des nouvelles techniques statistiques ont été élaborées récemment pour explorer plus précisément la présence d’une causalité (comme les méthodes d’équations structurelles) mais elles sont encore peu utilisées. Une association est possiblement évocatrice de causalité si certaines données sont retrouvées : une prise en compte le plus soignée possible des facteurs de confusion, une association forte, un effet proportionnel entre la cause et l’effet, un mécanisme possible entre les deux faits observés, un facteur de temporalité (les causes précèdent les conséquences). Enfin une association est d’autant plus le reflet possible d’un effet causal si elle est retrouvée dans différentes études, sur des populations différentes, par différentes équipes et à différentes périodes.