Addiction aux écrans : mythe ou réalité?

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Le débat sur l’addiction aux écrans mobilise surtout les milieux académiques et repose sur une discussion des 2 classifications internationales que sont le DSM- 5 (la bible des pathologies psychiatriques américaines) et la CIM 11 (qui est celle de l’organisation mondiale de la santé). L’addiction aux écrans n’est mentionné dans aucune d’entre elles mais en revanche le trouble du jeu vidéo (Gaming disorder) est défini par l’OMS. L’OMS définit ce trouble comme un comportement persistant ou récurrent lié aux jeux vidéo, caractérisé par une perte de contrôle, une priorité accrue donnée au jeu au détriment d’autres activités, et une continuation du jeu malgré des conséquences négatives. Le trouble du jeu vidéo (gaming disorder) n’est pas officiellement reconnu comme une addiction dans le DSM-5 (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition, publié par l’American Psychiatric Association). Cependant, il y figure en tant que trouble nécessitant des recherches supplémentaires (Condition for Further Study), ce qui signifie que les experts considèrent qu’il pourrait être un trouble à part entière, mais que les preuves scientifiques ne sont pas encore jugées suffisantes pour l’inclure définitivement. Bref si l’on est un inconditionnel de « l’officiellement reconnu », le débat est clos. Addiction aux jeux vidéos peut-être, addict aux écrans, non.

Pas un jour sans qu’un titre de la presse ou d’un interview ne fasse mention de l’existence d’une « addiction aux écrans« . Il est complètement « addict » est aussi une plainte fréquente des parents concernant leur ados. Pourtant pas un jour non plus sans qu’un expert ne s’indigne : « l’addiction aux écrans, ca n’existe pas ». Alors pourquoi une telle différence d’approche?

Historiquement, on connait bien les addictions aux substances : tabac et alcool, cannabis, opaciés (héroïne, morphine), cocaïne ou médicaments. Les mécanismes mis en oeuvre dans ce type d’addiction est aujourd’hui bien connu et met en cause des circuits neuronaux notamment ceux du circuit de la récompense .

Plus récemment on reconnait l’existence d’addictions sans substance dite comportementales. Mais les mécanismes impliqués sont encore discutés. Pourtant sur le terrain de plus en plus de médecin, dont des addictologues, voient des patients qui consultent pour des symptômes en lien avec une consommation excessive des écrans. L’équipe de Bordeaux à ainsi un travail passionnant sur le sujet chez l’adulte, résumé dans un article en ligne sur le site The conversation (L’addiction aux écrans, un diagnostic valide ? Qui est touché ?). La MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) publie maintenant sur son site, à côté des autres addictions comportementales, des données sur l’addiction aux écrans (« Les français addicts aux écrans?« .

De même dans le cadre des travaux de recherche, les publications sur « l’addiction aux écrans « ou qui utilisent un « score d’addiction aux écrans » sont de plus en plus nombreux comme le montre ci dessous le diagramme de résultats de recherche par année du terme « screen addiction » sur le moteur de recherche Pubmed.

Mais d’autres préfèrent, pour respecter la doxa, utiliser le terme « d’usage problématique des écrans » au lieu du terme d’addiction. De façon assez équivoque malgré tout car les scores d’usage problématique sont en tout point repris sur les questionnaires habituels des addictions…

Chez les plus jeunes enfants c’est ce terme « d’usage problematique des écrans » qui est le plus souvent retenu même si certaines équipes n’hésitent pas à franchir le Rubicond (Pekes Y, Torpil B, Altuntaş O. The Impact of Screen Exposure on Screen Addiction and Sensory Processing in Typically Developing Children Aged 6-10 Years. Children (Basel). 2024 Apr 13;11(4):464.)

Sarah E. Domoff est une psychologue clinicienne spécialisée dans l’étude de l’utilisation problématique des médias chez les enfants et les adolescents. Elle dirige le Family Health Lab à l’Université d’Albany, où elle mène des recherches approfondies sur les effets de l’exposition aux écrans sur la santé mentale et le développement des jeunes.

Parmi ses contributions notables, la Dre Domoff a développé le Problematic Media Use Measure (PMUM), un outil validé pour identifier les symptômes liés à une utilisation excessive des médias chez les enfants d’âge préscolaire. Ses recherches ont démontré que le PMUM est associé à des comportements tels que l’insistance des enfants à utiliser les écrans et des difficultés dans l’autorégulation émotionnelle.

En 2022, elle a coécrit l’article intitulé « Interactional Theory of Childhood Problematic Media Use« , proposant un modèle théorique qui examine comment les interactions entre les enfants, les parents et les caractéristiques des médias contribuent à une utilisation problématique des écrans chez les jeunes.

Elle parle maintenant plus généralement d’usage dérégulé des médias pour évoquer ces jeunes enfants qui passent des heures dès le plus jeune age devant les écrans et que nous considérons nous comme des enfants surexposés.

Au sein du collectif CoSE le terme d’addiction aux écrans s’impose petit à petit depuis quelques années.