Le collectif Cose signe une nouvelle tribune dans le supplément médecine du journal « Le Monde » daté du 16/01/2019.
En raison du manque de place disponible pour le format tribune l’article initial a été raccourci notamment toute la partie bibliographie . Vous trouverez donc ci dessous l’article original sans coupure.
Exposition aux écrans : qui défend-on, les enfants ou l’industrie du numérique?
Comme chaque année, l’éducation nationale publie le nombre d’enfants scolarisés souffrant de handicap (« repères et références statistiques de la Depp 2018 ») : les chiffres ont progressé de façon extrêmement importante. Même si la catégorisation des différents troubles manque de précision, les résultats sont frappants: le nombre de nos enfants scolarisés entre deux et onze ans souffrant de troubles intellectuels et cognitifs, de troubles du psychisme ou de troubles du langage est en très forte augmentation alors que les chiffres des troubles visuels, auditifs, viscéraux et moteurs n’ont pas bougé.
La comparaison avec les chiffres publiés par les mêmes instances les années précédentes révèle l’importance de cette épidémie de troubles mentaux (cf. graphe établi par CoSE à partir des chiffres publiés). Depuis 2010 les troubles ont progressé respectivement de 24% pour les troubles intellectuels et cognitifs, de 54% pour les troubles psychiques et de 94% pour les troubles de la parole et du langage, alors que les troubles physiques sont constants : troubles visuels +2.5%, auditifs +3% et moteurs +0.8% .
Affirmer que ces chiffres sont le seul fait de l’amélioration du dépistage ou de l’inclusion des enfants souffrant de handicap (loi datant de 2005) n’est plus tenable. Un facteur environnemental ne pourrait-il pas expliquer de telles progressions des troubles graves chez nos enfants? Parmi d’autres, quelle pourrait être la responsabilité de la surexposition aux écrans?
Le 31 mai 2017, les professionnels du collectif « surexposition écrans » CoSE , qui travaillent auprès d’enfants, lançaient une alerte de santé publique par une Tribune dans le Monde sur les effets de la surexposition aux écrans sur les enfants. Dix huit mois plus tard, le collectif recense les études sur cette question et renouvelle son message.
De nombreux travaux confirment depuis 20 ans l’effet délétère sur le langage, le sommeil et le comportement, d’une exposition à la télévision des enfants de moins de 2 ans soit en direct soit en arrière-plan permanent (Zimmerman 2007 ; Kirkorian 2009). Aucune étude à ce jour ne montre un effet bénéfique de l’exposition aux écrans sur le développement (Anderson 2017). On relève les mêmes inquiétudes pour les autres écrans numériques sur le sommeil, le langage, le contrôle des émotions (Birken 2017 : 894 enfants 6-24 mois ; Duch 2013 : 119 enfants de 21 mois; Tomopoulos 2010 : 259 enfants 6-14 mois ; Radesky 2016 : 144 enfants de 15-36 mois).
En ce qui concerne les grands enfants et les adolescents les études confirment le lien entre exposition aux écrans et les troubles du sommeil (Hale 2015 ; Ben Carter 2016 ; Yland 2015 ; Beyens 2018); et les troubles de l’attention et l’hyperactivité (Zimmerman 2007 : 1000 enfants; Ra 2018 : 2587 adolescents);et les baisses des résultats scolaires (Zimmerman 2005 : 1800 enfants 6-7 ans ; Poulain 2018 : 850 adolescents; Walsh 2018 : 4524 enfants 8-11 ans). On peut citer également un retentissement sur les activités physiques, le poids, la vision, l’humeur (anxiété, isolement, dépression) et des attitudes hypersexualisées ou violentes dues à l’exposition à la pornographie et à la violence.
La seule étude d’ampleur sur le sujet en France est en cours. L’étude ELFE (étude longitudinale française depuis l’enfance) étudie de multiples aspects de la vie de 18000 enfants nés en 2011. En décembre 2018, les résultats sur l’exposition aux écrans de 13276 enfants sont publiés: 2/3 des enfants âgés de 2 ans regardent la télévision tous les jours; 8% (soit 1066 enfants) la regarde 2 heures par jour. La consommation de télévision est augmentée dans les familles de faible revenu et de faible niveau d’instruction. Ces résultats sont ceux de l’année 2013. Qu’en est il en 2018 des enfants de 2 ans toujours exposés à la télévision et maintenant beaucoup plus aux écrans nomades?
Souvenons-nous : les premiers ordinateurs domestiques apparaissent en 1990, les premiers smartphones en 2007, les premières tablettes en 2010 ; ce phénomène d’envahissement de nos vies par les technologies numériques est récent, massif et inédit. Nos enfants sont donc inévitablement exposés.
Des informations commencent tout juste à être données. Ainsi, le nouveau carnet de santé mentionne depuis avril 2018 que » les écrans sont déconseillés avant 3 ans ». En octobre 2018, le CSA, Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, lance une campagne : « pas d’écran avant 3 ans ». Madame Buzyn, ministre de la santé, exprime à cette occasion son inquiétude sur les conséquences de l’exposition aux écrans sur les apprentissages des petits enfants. Le Défenseur des Droits va dans le sens d’une protection des enfants par rapport aux écrans. En novembre 2018, la sénatrice Madame Morin-Desailly porte une proposition de loi visant à lutter contre une exposition précoce des enfants aux écrans. Cette proposition, votée au Sénat à la quasi-unanimité, est rejetée par la secrétaire d’état auprès du ministre de la santé Madame Christelle Dubos sous prétexte d’un manque d’études. Pourtant, les études actuellement disponibles donnent des résultats inquiétants, et on imagine mal des études randomisées où certains nourrissons seraient massivement exposés, et d’autres préservés des écrans…
Pourquoi ne pas appliquer un principe de précaution? Pourquoi ne veut-on pas entendre les messages d’alerte concernant la surexposition des enfants aux écrans?
Des conférences de membres du collectif sont annulées, leur participation à des émissions TV écartée. Que craint on? Qui défend-on? l’enfant? ou des intérêts économiques qui nous échapperaient?
Nous demandons aux responsables politiques :
– de soutenir les équipes de recherche pour que nous disposions rapidement en France d’études qui lèvent tous les doutes sur ce sujet.
– sans attendre les résultats, d’élaborer une stratégie nationale de prévention des risques liés à la surexposition aux écrans ;en informant au plus juste toutes les familles (et particulièrement les familles les plus à risque), en informant tous les professionnels de l’enfance et en créant des soutiens à la parentalité sur le terrain.
En attendant cette prise de conscience, nous demandons que CoSE puisse poursuivre ses messages de prévention et d’information au vu de ses observations de terrain et de son travail pour la seule cause qui compte : protéger les enfants et leurs familles!
F. J. Zimmerman, D. A. Christakis, and A. N. Meltzoff, “Associations between media viewing and language development in children under age 2 years,” J. Pediatr., vol. 151, no. 4, pp. 364–368, Oct. 2007.
H. L. Kirkorian, T. A. Pempek, L. A. Murphy, M. E. Schmidt, and D. R. Anderson, “The impact of background television on parent-child interaction,” Child Dev, vol. 80, no. 5, pp. 1350–1359, Oct. 2009.
D. R. Anderson, K. Subrahmanyam, and on behalf of the C. I. of D. M. Workgroup, “Digital Screen Media and Cognitive Development,” Pediatrics, vol. 140, no. Supplement 2, pp. S57–S61, Nov. 2017.
C. Birken, “Handheld screen time linked with speech delays in young children,” presented at the 2017 Pediatric Academic Societies (PAS) Meeting, San Francisco, CA, 04-May-2017.
H. Duch, E. M. Fisher, I. Ensari, M. Font, A. Harrington, and C. Taromino, “Association of screen time use and language development in Hispanic toddlers: a cross-sectional and longitudinal study,” Clin Pediatr (Phila), vol. 52, 2013.
S. Tomopoulos, B. P. Dreyer, S. Berkule, A. H. Fierman, C. Brockmeyer, and A. L. Mendelsohn, “Infant media exposure and toddler development,” Arch Pediatr Adolesc Med, vol. 164, no. 12, pp. 1105–1111, Dec. 2010.
J. S. Radesky, E. Peacock-Chambers, B. Zuckerman, and M. Silverstein, “Use of Mobile Technology to Calm Upset Children: Associations With Social-Emotional Development,” JAMA Pediatrics, vol. 170, no. 4, p. 397, Apr. 2016.
L. Hale and S. Guan, “Screen time and sleep among school-aged children and adolescents: a systematic literature review,” Sleep Med Rev, vol. 21, pp. 50–58, Jun. 2015.
B. Carter, P. Rees, L. Hale, D. Bhattacharjee, and M. Paradkar, “A meta-analysis of the effect of media devices on sleep outcomes,” JAMA Pediatr, vol. 170, no. 12, pp. 1202–1208, Dec. 2016.
J. Yland, S. Guan, E. Emanuele, and L. Hale, “Interactive vs passive screen time and nighttime sleep duration among school-aged children,” Sleep Health, vol. 1, no. 3, pp. 191–196, Sep. 2015.
F. J. Zimmerman and D. A. Christakis, “Associations Between Content Types of Early Media Exposure and Subsequent Attentional Problems,” PEDIATRICS, vol. 120, no. 5, pp. 986–992, Nov. 2007.
F. J. Zimmerman and D. A. Christakis, “Children’s Television Viewing and Cognitive Outcomes: A Longitudinal Analysis of National Data,” Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine, vol. 159, no. 7, p. 619, Jul. 2005.
C. K. Ra et al., “Association of Digital Media Use With Subsequent Symptoms of Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder Among Adolescents,” JAMA, vol. 320, no. 3, pp. 255–263, 17
T. Poulain, T. Peschel, M. Vogel, A. Jurkutat, and W. Kiess, “Cross-sectional and longitudinal associations of screen time and physical activity with school performance at different types of secondary school,” BMC Public Health, vol. 18, no. 1, p. 563, Apr. 2018.
J. J. Walsh et al., “Associations between 24 hour movement behaviours and global cognition in US children: a cross-sectional observational study,” Lancet Child Adolesc Health, vol. 2, no. 11, pp. 783–791, Nov. 2018.
I. Beyens and A. I. Nathanson, “Electronic Media Use and Sleep Among Preschoolers: Evidence for Time-Shifted and Less Consolidated Sleep,” Health Commun, pp. 1–8, Jan. 2018.