Effets des écrans : Le déficit de transfert

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Pour l’enfant de moins de deux ans, le temps passé devant un écran est un temps volé aux autres apprentissages. Il est volé car l’enfant de cet âge n’apprend rien devant un écran : c’est la découverte qu’on faite une équipe de chercheurs américains dans les années 80 et qu’ils ont appelée « déficit vidéo ou déficit de transfert ». Il est donc peu probable comme le font croire certains éditeurs de contenu média et comme semblent le croire parfois les parents que l’écran ait « un potentiel éducatif bon pour le cerveau des enfants ».

La capacité des enfants à apprendre à partir de sources en deux dimensions comme le sont les écrans, est très dépendante de l’âge. Elle est très limitée avant deux ans quand les enfants sont encore dans les premiers stades d’apprentissages où les éléments sensori-moteurs sont essentiels. Par exemple ils peuvent imiter et se souvenir d’actions effectuées par une personne sur un écran ou imiter le langage des signes vus sur une vidéo mais ils ne peuvent apprendre de nouvelles choses (de nouveaux mots ou faire un puzzle) avant 30 mois sans l’aide d’un adulte qui le soutient. C’est ce que l’on appelle le déficit de transfert. Dans une expérience « d’objet caché », deux groupes d’enfants de deux ans regardent un adulte en train de cacher une poupée dans une pièce, soit à travers une fenêtre, soit par l’intermédiaire d’un écran. Quand on fait ensuite entrer les deux groupes d’enfants dans la pièce où est cachée la poupée tous les enfants du groupe « fenêtre » la retrouvent alors que seulement la moitié des enfants du groupe « écran » y parvient. Ce qui a été vu sur l’écran pour ces enfants n’a pas eu de sens dans la réalité.

 Pour des taches plus complexes les expériences démontrent que ce déficit persiste au moins jusqu’à trois ans. Les chercheurs ont aussi mis en évidence que les processus de mémorisation sont aussi impactés : ces apprentissages plus complexes peuvent être reproduits après trois mois par les enfants qui les ont appris en situation réelle alors qu’ils ne persistent qu’un mois pour les enfants ayant seulement vu faire sur une vidéo. Ce n’est en fait que si la démonstration vidéo est reprise par un adulte qui prend soin de la relier au contexte de la vie réelle que ce déficit de transfert diminue sans jamais disparaitre. A cet âge l’immaturité de l’attention et de la pensée symbolique ne permettent pas de passer facilement d’une dimension à l’autre. L’effort cognitif demandé est trop important pour que des notions complexes soient comprises et mémorisées. On ne sait pas aujourd’hui pourquoi ce déficit existe et comment il s’amoindrit avec le temps. Cependant certaines données sur les neurones miroirs sont troublantes (voir l’article neurones miroirs).

De nombreuses équipes ont cherché depuis lors à diminuer ce déficit de transfert. De façon intéressante même si différents « stratagèmes » ont été retrouvés (la répétition par exemple), aucun d’entre eux ne le fait complètement disparaitre : on apprend toujours mieux avec une autre personne dans la vraie vie que par l’intermédiaire d’un écran. C’est la principale justification du « pas d’écran avant deux ans » que l’on retrouve dans les dernières recommandations américaines. Elles ont été « amendées » tout récemment en raison de travaux qui montre que l’utilisation de la conversation par vidéo (type Skype) serait moins impactée et pourrait donc se justifier pour maintenir les contacts familiaux à distance à partir de 18 mois. Curieusement l’accompagnement social qui permet d’atténuer le déficit de transfert n’est pas limité à l’adulte : Un travail de laboratoire montre qu’un tout petit est plus réceptif à de nouveaux mots inconnus présentés sur une vidéo s’il est accompagné par un enfant de son âge avec lequel il joue, que s’il est seul devant l’écran